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The Last of Us : un champignon atomique dans le game des adaptations vidéoludiques en série

The Last of Us : un champignon atomique dans le game des adaptations vidéoludiques en série

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Par Adrien Delage

Publié le

Pour sa première adaptation en série d’un jeu vidéo, HBO frappe fort avec un pilote sombre, poignant et très fidèle à l’œuvre originale. Attention, spoilers.

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Depuis sa création au début des années 1970 (elle a d’ailleurs fêté ses 50 ans l’année dernière), HBO, autoproclamée chaîne du prestige, s’est toujours montrée audacieuse et créative dans ses projets de fiction originaux. Elle a souvent atteint les sommets de popularité, avec Game of Thrones évidemment, bouleversé les codes de l’industrie télévisuelle, avec Les Soprano et The Wire comme piliers incontestables, mais aussi connu des échecs cuisants et (très) onéreux comme la série maudite Rome de John Milius, William J. MacDonald et Bruno Heller, diffusée au milieu des années 2000. En 2023, HBO se lance un nouveau défi en s’attaquant à un domaine de la pop culture particulièrement risqué : sa première adaptation d’un jeu vidéo et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit de la franchise culte The Last of Us développée par Naughty Dog.

Une franchise emblématique de la PlayStation pour les joueurs et joueuses du monde entier, qui brille par son gameplay immersif, son riche univers post-apocalyptique, son bestiaire terrifiant et surtout ses qualités narratives, à travers une histoire de road movie survivaliste aussi poignante que spectaculaire. Dans l’imaginaire collectif, on pourrait se dire que l’adaptation est “facile” car tous les éléments sont déjà présents pour en faire une œuvre populaire et réussie, mais bonne adaptation ne rime pas forcément avec grande série. Toutefois, HBO, comme à son habitude, a recruté les moyens et les personnes nécessaires pour combler les fans et séduire un nouveau public. En somme, une volonté d’apposer son label prestige sur une œuvre vidéoludique extrêmement populaire, avec une touche auteur pour délivrer un sous-texte pertinent et ancré dans le monde contemporain.

En l’occurrence, il s’agit du showrunner Craig Mazin, déjà à l’origine du chef-d’œuvre Chernobyl, diffusé en 2019. Un scénariste, réalisateur et producteur au parcours surprenant voire carrément atypique, qui a commencé sa carrière avec les suites de… Very Bad Trip et Scary Movie. Un créateur capable de nous faire rire en théorie, mais également de mener d’une main de maître des récits dramatiques et surtout très ancrés dans le réel, comme la catastrophe de Tchernobyl racontée dans une mini-série bouleversante de cinq épisodes. Sur The Last of Us, il est accompagné de Neil Druckmann, l’homme de confiance de Naughty Dog et directeur artistique des jeux, qui a coshowrunné la série et réalisé un épisode de la première saison.

Si on vibre déjà derrière la caméra, HBO n’a pas lésiné du côté du cast. En tête d’affiche, deux vétérans de Game of Thrones, dans des rôles, certes, secondaires mais qui ont marqué à jamais les fans par leur interprétation impliquée : Pedro Pascal, élu à l’unanimité meilleur papa de la pop culture depuis The Mandalorian, et Bella Ramsey, jeune actrice âgée d’à peine 20 ans, inoubliable dans le rôle de la féroce Lyanna Mormont. Du côté des seconds rôles, on retrouve également des têtes connues des sériephiles dont Anna Torv (Mindhunter), Nick Offerman (Parks and Recreation), Murray Bartlett (The White Lotus) ou encore Gabriel Luna (Les Agents du S.H.I.E.L.D.). Cerise sur le gâteau pour les fans des jeux, Troy Baker et Ashley Johnson, les comédiens de doublage originaux de Joel et Ellie, ont droit à un petit rôle/caméo dans la série.

Sur le papier, ce mix de talents fait franchement rêver et nous laisse présager le meilleur pour la série. Mais, alors que le premier épisode vient d’arriver sur HBO et HBO Max aux États-Unis, et dans la foulée chez nous sur Amazon Prime Video, la chaîne du prestige est-elle aussi parvenue à sublimer une œuvre vidéoludique déjà reconnue comme culte et donc intouchable de renom ?

Un pilote contaminé par les bonnes idées

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Dès les premières minutes de “When You’re Lost in the Darkness”, le nom du premier épisode en référence au mantra des Libellules, ce groupe de survivants révoltés contre l’armée et les groupes tyranniques, la série nous surprend. L’intelligence et le talent d’écriture de Craig Mazin de ce cold open qui n’existe pas dans les jeux, mais dont on comprend rapidement l’importance dans l’exposition de l’histoire, font mouche. Le talk-show américain des sixties, où un scientifique joue les lanceurs d’alerte concernant le danger potentiel que représentent les champignons dans une pandémie de masse, fait complètement écho à notre société, ancrant The Last of Us dans un contexte très actuel et réaliste. Celui du Covid et du réchauffement climatique, deux éléments influencés par nos comportements sociaux et écologiques et qui pourraient, à terme, déclencher une forme d’apocalypse proche de celle que vont traverser les personnages.

Mais l’influence du créateur de Chernobyl ne s’arrête pas là. Tout au long du premier épisode, la tension qui monte crescendo, dirigée efficacement par Craig Mazin en personne à la réalisation, sublime le jeu et les souvenirs des joueurs et joueuses. Les versions vidéoludiques de The Last of Us proposaient d’ailleurs cet aspect très cinématique de leur mise en scène, poussé au maximum dans la série. On pense à la scène emblématique de la voiture, où l’accident de voiture impressionnant de Joel, Sarah et Tommy devient carrément un crash d’avion spectaculaire, et où l’on peut remercier HBO pour les travaux et l’investissement dans une séquence tendue, à la fois respectueuse du matériau de base et qui la rend encore plus stupéfiante. Craig Mazin propose ici une vision graduelle et inéluctable de la catastrophe qui arrive, comme celle mise en scène avec l’accident de Tchernobyl dans la mini-série éponyme, et qui vous prend aux tripes en quelques secondes.

Autre choix intéressant de la part des scénaristes, qui reprend une idée du jeu, la série s’ouvre à travers les yeux de Sarah, la fille de Joel, incarnée par Nico Parker (qui, pour votre information, est la fille de la brillante Thandiwe Newton vue dans Westworld). Une introduction particulièrement cohérente avec le titre de l’épisode : Sarah représente la lumière de Joel, qui va disparaître et le laisser face aux ténèbres du désespoir et de la solitude. Plus tard dans l’épisode, on voit d’ailleurs un parallèle entre Joel et Ellie qui observent chacun leur tour un tag des Libellules, de façon à représenter visuellement leurs destins liés. Une forme de poésie mélancolique qui habitait le jeu et qu’on retrouve avec une certaine émotion dans la série.

Une fin du monde plus belle que jamais

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Mais parler de Sarah, c’est aussi parler de Nico Parker et plus largement du cast de The Last of Us. Avec seulement une trentaine de minutes de temps de jeu à l’écran, la jeune actrice se dévoile très crédible et émouvante. On accroche vite à son alchimie avec Pedro Pascal, qui confirme une fois de plus sa justesse de jeu en incarnant le bourru, ferme et taiseux Joel, et s’impose une fois de plus comme un visage phare de la pop culture moderne. Personnellement, j’accorderais mon coup de cœur à Anna Torv dans le rôle de Tess, une actrice de grand talent (révélée dans Fringe, les vrais savent) dans un rôle très physique et à contre-emploi auquel je n’étais pas habitué et qui m’a complètement conquis. Bref, facile à dire mais en résumé, et comme souvent dans les productions HBO, le cast transcende l’œuvre et nous permet de découvrir des talents émergents à suivre de près (Nico Parker, on ne t’oubliera pas).

Visuellement, la série en impose aussi avec une photographie léchée et des teintes de couleur assez ternes et verdâtres, qui évoquent une nouvelle fois l’atmosphère glaçante de Chernobyl. Si The Last of Us ne révolutionne pas le genre du survival post-apocalyptique, elle semble toutefois avoir compris qu’au cœur de ce récit dramatique, ce sont les personnages, leur évolution et leur psychologie qui importent (poke The Walking Dead, qui a fini par oublier). Il n’empêche, elle crée aussi suffisamment de mystères et de tension en un seul épisode pour nous donner envie d’en apprendre davantage sur sa mythologie, et notamment sur la contamination spongieuse et ces humains infectés, qui ont un nom bien particulier dans les jeux, les fameux Claqueurs. À voir si, par la suite, la série prend une tournure plus horrifique, un aspect essentiel des jeux vidéo qui manque un peu à ce premier épisode.

Après 80 minutes intenses d’un pilote rondement mené, il est clairement trop tôt pour lire entre les lignes et percevoir ce que l’adaptation pourrait apporter au matériau original. Une chose est sûre et les fans l’ont déjà compris, la volonté de rester fidèle est omniprésente. Des plans aux dialogues en passant par certains accessoires emblématiques (la montre de Joel, symbole du temps qui s’arrête pour lui à la mort de Sarah), la série ne veut pas trahir les fans. Connaissant la réputation de HBO et des talents investis, on s’attend même à ce qu’elle vienne sublimer les jeux avec des prises de liberté voire des éléments innovants, qui pourraient la transformer en parfaite companion series plus qu’une simple retranscription à l’écran.

Toutefois, comme on le rappelait en intro, une bonne adaptation ne fait pas forcément une bonne série, même si on a hâte de découvrir dans quelques semaines voire dans quelques années en cas de renouvellement, si Craig Mazin et Neil Druckmann sont parvenus à briser la malédiction des adaptations vidéoludiques en série et au cinéma. Mais ça, seuls les derniers d’entre nous pourront le constater.

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