Quand je raconte à certains de mes potes que je passe plus d’une heure tous les soirs sur un réseau social de bouquins, au mieux ils rigolent, au pire, ils me regardent de travers. Loin de moi l’idée de me donner un air de snob qui utilise uniquement des applis de lecture, je passe bien plus de temps à scroller sur Instagram, Twitter et Facebook. Mais Goodreads et mes 42 amis sont mon havre de paix personnel, une bulle de bienveillance et de tranquillité qui me redonne un peu de foi en Internet… Enfin… c’était ce que je croyais avant d’écrire cet article.
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Chapitre 1 : L’idée d’écrire un article élogieux
Pour commencer, une petite mise en contexte. Le concept de Goodreads est simple : c’est un catalogue social numérique, sous forme de site et d’appli mobile, où les utilisateurs partagent les livres qu’ils sont en train de lire, qu’ils veulent lire ou qu’ils ont déjà lu avec leur petite communauté d’amis et de followers. À l’instar d’autres réseaux sociaux, on y retrouve également un système de fil d’actualité et de messagerie. Mais contrairement à Twitter ou Facebook, pas de brouhaha incessant d’informations, pas de commentaires à tout va, c’est un espace qui se veut bienveillant et safe, où les principales embrouilles entre utilisateurs se font autour du dénouement d’un bouquin.
Cela peut paraître paradoxal, voire absurde, de passer autant de temps sur un réseau social porté sur la lecture alors que je pourrais passer ce temps à… lire. Mais à l’image d’autres réseaux sociaux, on y retrouve des mécanismes et des processus de récompense qui rendent accro. Pour Instagram, Twitter ou Facebook, la récompense réside dans le like, dans la visibilité. Pour Goodreads, la récompense c’est cette impression d’accomplir quelque chose d’utile, de se nourrir intellectuellement et de voir grandir notre bibliothèque virtuelle.
Quand je demande à mes amis ce qu’ils aiment sur Goodreads, c’est cette idée de défi et le plaisir que procure la réalisation d’un objectif. Au travers de challenge annuel qui pousse les utilisateurs à se fixer un nombre de livres à lire en une année et d’un système de mise à jour de la progression, Goodreads remplit son pari : faire lire plus.
Et ça marche. Selon Statista, près de 100 millions d’utilisateurs sont conquis. Je propose donc à mon rédacteur en chef l’idée de rédiger un papier élogieux. Il accepte.
Chapitre 2 : La rédaction, le drame et le dilemme
En commençant à écrire l’article, l’objectif de base était donc de rédiger une ode à mon réseau social préféré. Néanmoins, par souci de déontologie, je m’attelle à faire quelques recherches complémentaires sur l’histoire de Goodreads et sur ses détracteurs. Je tombe alors sur quelques articles accusateurs qui fustigent principalement le design du site et qui déplorent les bugs à répétition sur l’application mobile.
Il est vrai que le design de Goodreads est objectivement très vieillot. Une journaliste britannique répondant au nom de Sarah Manavis l’a d’ailleurs justement comparé à “une page Myspace d’un ado en 2005” dans un article pour The New Statesman. La journaliste critique par ailleurs le fait qu’ayant clairement le monopole des réseaux sociaux de lecture, les développeurs ne semblent pas prendre la peine d’améliorer les choses, laissant bon nombre d’utilisateurs lassés et frustrés.
Mais surtout, et voici le grand rebondissement de cette histoire, je découvre une nouvelle choquante qui va tout remettre en question. J’apprends que Goodreads appartient à Amazon. Lancé en avril 2007 par un couple d’Américains, Goodreads a été racheté par le géant du commerce en ligne en 2013, le prix n’a jamais été divulgué. Un article du New York Times publié en 2013 révèle par ailleurs que cet achat a été motivé par un sentiment de rivalité entre les deux sites, Amazon ne supportant plus que les internautes se rendent sur Goodreads pour découvrir des nouveaux livres. Ni une, ni deux, le géant des GAFAM a donc sauté sur l’occasion.
À l’époque, ce rachat n’avait pas trop fait couler d’encre. Quelques internautes avaient quitté le navire, et des auteurs sceptiques avaient interpellé leur communauté sur leurs réseaux, visiblement inquiets que cet achat engendre une invisibilisation des petits auteurs. Cette acquisition a également été un coup de massue pour les petites librairies indépendantes puisque, sous la description des livres est apparu un bouton “Amazon” renvoyant directement sur le site du vendeur en ligne. En discutant avec mes amis, je me rends rapidement compte que je suis loin d’avoir été la seule à ignorer l’histoire de ce rachat.
Chapitre 3 : La recherche d’alternatives
Je me retrouve donc face à un dilemme : rester sur cette appli que j’aime tant au risque de trahir mes convictions anticapitalistes ? Supprimer mon compte et peut-être passer à côté de super recommandations de livres qui changeront ma vie ? En cherchant une alternative à Goodreads, je me rends tristement compte que bon nombre de sites similaires, à l’instar de Shelfari (qui n’existe plus aujourd’hui) et de LibraryThing, ont appartenu et appartiennent eux aussi, totalement ou partiellement, à Amazon. C’est la lose, comme disent mes parents.
En poursuivant mes recherches, je découvre que bon nombre d’anciens aficionados de Goodreads sont passés sur un site concurrent baptisé The StoryGraph, une application indépendante que j’utilisais partiellement en complément de Goodreads. Cette dernière propose des statistiques bien plus poussées sur le rythme et sur les “humeurs” de lecture.
L’interface est beaucoup plus agréable que celle de Goodreads et le principe reste le même. Surtout, pas de GAFAM à l’horizon. J’apprends par ailleurs en rédigeant cet article que je peux même directement transférer toute ma bibliothèque Goodreads sur The StoryGraph. La solution se présente devant moi, mais je ne peux pas ignorer ce petit pincement au cœur à l’idée de quitter Goodreads pour de bon.
En conclusion, je pense me mettre progressivement à The StoryGraph. Mais peut-être qu’à l’instar des personnes qui avaient quitté WhatsApp pour l’application Signal, je reviendrais sur mon choix et retournerais sur Goodreads, avec ma tranquillité et mon innocence en moins. Bref, bienvenue dans un monde où les GAFAM sont partout.
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