Porté par l’énergie d’Omar Sy, Lupin est un divertissement séduisant, mais un peu lisse

Porté par l’énergie d’Omar Sy, Lupin est un divertissement séduisant, mais un peu lisse

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Notre avis sur la série événement de Netflix, portée par l'acteur préféré des Français.

Il est conseillé d’avoir vu les cinq épisodes de Lupin avant de lire cette critique, qui contient quelques spoilers mineurs.

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Si l’Angleterre a Sherlock Holmes, son détective de génie en matière de déduction, la France a Arsène Lupin, voleur insaisissable et anarchiste, qui commet ses délits contre les riches dans le Paris des Années folles. Comme son compère anglais, cette figure masculine fictive a connu bien des itérations, se tenant pour la plupart au début du XXe siècle, l’époque où le plaça son créateur, Maurice Leblanc. Or, en 2020, aussi inscrit dans le patrimoine français soit-il, le héros des anciennes générations sentait quelque peu la naphtaline.

C’est là que Netflix entre en scène : prenant exemple sur la BBC et le pari gagnant de Sherlock (une relecture contemporaine des aventures du détective par Steven Moffat, portée par Benedict Cumberbatch), la plateforme a décidé de dépoussiérer les aventures du gentleman cambrioleur, en plaçant l’action de nos jours. Pour ce faire, elle a fait appel à un scénariste british, George Kay (créateur de Criminal), au réalisateur Louis Leterrier (la chilienne Marcela Said réalise ensuite deux épisodes) – une valeur sûre dans le genre de l’action – le tout créé sur mesure pour un certain Omar Sy.

Dans une France qui le place n° 1 dans le classement de ses acteurs préférés, mais est aussi prompte à ruer dans les brancards dès qu’un personnage fictif blanc est réinterprété par un talent racisé (cf. la récente sortie navrante de Norman à propos de la franchise James Bond, qui va mettre en scène une une nouvelle agente 007, incarnée par l’actrice noire Lashana Lynch), l’idée semblait audacieuse. Anticipant les réactions aux relents racistes, le script de Lupin, dans l’ombre d’Arsène place en réalité l’acteur dans la peau d’Assane Diop, un père de famille qui a grandi avec les histoires du gentleman cambrioleur et cherche à venger une injustice faite à son père 25 ans plus tôt.

Dans cet univers méta, George Kay effectue de multiples clins d’œil qui raviront les fans d’Arsène Lupin : un flic (incarné par Soufiane Guerrab) amateur des aventures du héros au monocle, dont les idées pour attraper Assane sont moquées par sa hiérarchie ; le look arboré par Omar Sy (le long manteau et le béret remplacent la cape et le haut-de-forme) ; des passages des livres cités par les personnages ; ou encore l’épisode final de cette partie 1 (composée de cinq épisodes, la partie 2 en comptera autant). Il se déroule à Étretat pendant un rassemblement de lupinophiles, le jour de l’anniversaire de la naissance de Maurice Leblanc, un événement qui a lieu dans la vraie vie et voit des fans de tous les pays rendre hommage à leur héros transgressif à l’aiguille d’Étretat (son repaire secret dans les livres).

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Assane s’est servi des histoires d’Arsène Lupin, transmises par son père, comme d’un guide de survie qui lui a permis de traverser une adolescence semée d’embûches, de développer ses dons pour les tours de passe-passe et d’entourlouper des gens qui le méritent bien. Flamboyant, malicieux, jamais à court d’idées pour tromper son monde avec un nouveau déguisement, le personnage d’Arsène Lupin se situe quelque part entre Robin des Bois et Sherlock Holmes.

Explosif, le premier épisode nous plonge dans un spectaculaire vol de collier dans l’enceinte du Louvre. À l’aise dans les cascades comme dans les scènes plus dramatiques, Omar Sy force à peine son charisme naturel, proposant une version espiègle et charmeuse d’Arsène Lupin, plutôt du genre tout public. Bien rythmée, la série se sert à l’occasion de quelques outils high-tech, d’Alexa, l’intelligence artificielle domotique de Google, à un drone fouineur, en passant par l’utilisation de Twitter dans un épisode où le journalisme tient une place importante. Un choix intéressant à l’époque des fake news et manipulations médiatiques. Rien de révolutionnaire mais Lupin tient sa promesse de divertissement contemporain.

Dans la grande tradition des aventures lupiniennes, Assane s’en prend volontiers aux riches, taclant au passage les horreurs de la Françafrique. Dans une scène savoureuse, il détrousse avec le sourire, sans arme ni violence, une héritière qui possède une fortune acquise grâce à un vol de diamants au Congo. La capacité de cet homme noir, fils d’immigrés sénégalais invisibilisé dans la société française, à se déguiser pour commettre ses larcins – par exemple en homme de ménage au musée du Louvre – n’est évidemment pas un hasard. Une autre scène, où plusieurs policiers épluchent des photos d’hommes noirs, joue habilement avec le cliché raciste des blancs qui pensent que “tous les noirs se ressemblent”. Les hommes blancs puissants en prennent aussi pour leur grade à travers la fameuse affaire Pellegrini, fil rouge de cette première saison qui met en scène un magnat de l’import/export et des média aux mains sales.

Progressiste, mais pas trop

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La série pèche davantage du côté des personnages secondaires, sous-écrits et caricaturaux (surtout les flics, vite agaçants de médiocrité) ; en particulier du côté des protagonistes féminines. Lupin ne passe pas le test de Bechdel : on ne voit pas deux personnages féminins discuter ensemble d’autre chose que d’un homme.

Une des scènes revenant sur la rencontre entre Assane et son grand amour, Claire (Ludivine Sagnier), tente bien de sauver les meubles. Cette dernière lui explique qu’il existe deux types d’homme dans la vie, “les chevaliers et les barbares” et qu’aucun des deux ne la séduit. Cela ne l’empêchera pas de jouer les infirmières et maman dévouée tout au long de la série, un rôle des plus stéréotypés. Le seul personnage féminin qui sort du lot débarque à l’épisode 4 et ne fera pas long feu (on ne vous en dit pas plus pour éviter les spoilers). On cherche aussi un personnage féminin noir tenant un rôle marquant dans Lupin. Comme dans un nombre incalculable de thriller d’action (jusqu’au récent Tenet de Nolan), les femmes sont réduites à des monnaies d’échange, des excuses pour un comportement masculin déviant du droit chemin (un commissaire corrompu évoque sa femme et ses enfants) ou des outils de menace. Elle ne bénéficient pas de leur propre capacité d’agir. On en attendait plus de George Kay, qui a tout de même travaillé sur Killing Eve, le thriller d’action de Phoebe Waller-Bridge qui bat en brèche les clichés genrés. Ce n’est pas une question de temps d’écran ou d’un manque de personnages féminins, mais bien de leur traitement, trop superficiel et cliché, à l’instar du personnage de “la tentatrice” riche incarnée par Clothilde Hesme. 

La série donne l’impression qu’en s’axant sur l’histoire d’un personnage masculin noir, chose exceptionnelle en France (et il faut un Omar Sy pour miser sur un tel projet), elle a tout donné côté progressisme. Il faut donc à tout prix rassurer le public et effectuer deux pas en arrière sur, par exemple, la place des personnages féminins, histoire de rester grand public. Comme si on ne pouvait pas concevoir une série familiale à la fois woke et féministe (spoiler, c’est possible !).  

On espère que la suite de cette saison (une partie 2 déjà tournée et également composée de cinq épisodes) saura rectifier le tir et creusera les points forts de la série, comme le sujet de la paternité (entre Assane, son père, mais aussi son fils) qu’on aimerait bien voir davantage développé, le tout saupoudré de scènes divertissantes. Car en 2021, on a besoin plus que jamais de bons divertissements, qui reflètent ou font avancer notre société.

La partie 1 d’Arsène, dans l’ombre de Lupin est disponible sur Netflix depuis le 8 janvier.