Jurassic Shark : emblème nanar du “mockbuster”

Jurassic Shark : emblème nanar du “mockbuster”

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Par Antonin Gratien

Publié le

Un crossover (très) low budget entre Jurassic Park et Les Dents de la mer à voir impérativement… ou pas ?

“Seigneur Dieu”, “Haha c’est une blague… ?”, “Fuyez, pauvres fous”… Sur le site Senscritique, les internautes n’ont pas de formules assez fortes pour exprimer leur désarroi face à Jurassic Shark. Une production canadienne amateur organisant la rencontre pas si improbable entre Les Dents de la mer et Jurassic Park, actuellement dispo sur Prime Video, aux côtés d’autres films à requins tueurs (Sharks, Shark Bay…).

Mais pourquoi tant de consternation online, côté spectateurs ? C’est que Jurassic Shark appartient à la catégorie cinématographique méprisée par certains, adorée par d’autres, du “nanar”. Alors forcément, ça suscite des réactions. On ne va pas y aller par quatre chemins : le film est mauvais. Mais si mauvais qu’il en devient divertissant – voire carrément savoureux. Aux yeux de certains, du moins…

Focus sur ce qui pourrait bien être le plus nanar (et donc le plus clivant) des mockbusters – un genre de production plagiant ouvertement son prestigieux cousin, le blockbuster. Pour le meilleur, et pour le pire.

Des bikinis, un braquage, du (gros) squale

Sur une île qui n’est pas nommée, deux jeunes femmes trouvent le spot idéal pour faire bronzette. Elles s’installent, papotent. Bon. Du côté de cette île mystère toujours, au détour d’une allée de laboratoire, un scientifique en quête de pétrole obtient le feu vert pour passer à l’étape supérieure d’un forage illégal. Ce malgré les réticences d’une collaboratrice, soucieuse que certains protocoles de sécurité ne soient pas respectés.

Bien avisée était cette Cassandre car – malheur – l’opération libère des glaces une bête terrible, monstrueuse, dantesque : un mégalodon. Et, on s’en doute, l’animal vieux de quelque 80 millions d’années a faim. Voilà que nos deux jeunes baigneuses en bikini, occupées à faire trempette (cliché oblige), lui servent d’amuse-gueule.

Par un curieux, très curieux, concours de circonstances, deux drôles de quatuors déboulent en même temps sur l’île. Il s’agit d’une équipe de malfrats fraîchement débarquée d’un braquage avec, dans les bras, une toile estimée à 62 millions (de dollars, on suppose) ainsi que de quatre adolescents. Les premiers veulent semer la police, tandis que nos jeunes âmes sont venues enquêter sur les mystérieuses activités du laboratoire local… Coupés du monde – le réseau ne marche plus, leurs bateaux respectifs sont dévorés par le squale – ces deux groupes vont devoir cheminer ensemble bon gré, mal gré, pour survivre face à la bête.

Rien à sauver ? Mmmh…

Si on peut accepter l’idée d’un débat sur la qualité du pitch du film, d’autres points paraissent indiscutablement mauvais. Il y a d’abord, de la manière la plus éclatante sans doute, le jeu d’acteur. Une surenchère de réactions soit hyperboliques, soit 100 % à côté de la plaque. Du genre un des criminels voit son frère se faire dévorer sous ses yeux, et se contente de lâcher dans un souffle “Jerry”, bras croisé, regard au sol en guise d’émotion. Renversant.

Il y a ensuite une maladroite débauche d’effets spéciaux. Ces ralentis surannés, cette caméra qui tremblote à l’image sans qu’on comprenne bien pourquoi. Une giclée cartoonesque de sang à l’écran, censée suggérer l’ampleur de la boucherie. Et puis surtout, surtout, il y a le fameux “mégalodon”. Un être aux proportions changeantes, aux méthodes d’assaut improbables et à la mine qui sent l’image de synthèse à 36 km.

Sur la liste des points qui ne vont pas DU TOUT dans le film, impossible de ne pas citer les dialogues (désastreux), les jeux d’éclairages (incompréhensibles) et les incohérences (multiples). Ici, le requin – gigantesque, en théorie – s’approche sans encombre de la rive jusqu’au point où l’eau arrive au genou d’un protagoniste. Là, les vêtements de personnages tout juste sortis de l’eau apparaissent secs. Ailleurs les braqueurs “oublient” de prévenir un de leurs collaborateurs à l’eau que le requin (ailerons visibles) approche. Et tutti quanti.

Second degré exigé

Bien fou celui qui voudrait mater Jurassic Shark après avoir lu cette énumération de tares. À moins que… Oui, à moins que l’effet film de série Z fasse, en réalité, tout le sel de l’œuvre. Autrement dit, Jurassic Shark pourrait bien appartenir à la classe pas si bonne à la casse du “nanar”. Une production tellement mauvaise, rincée, amatrice-en-tout-point qu’elle en devient comique. Attendrissante, même.

Grosso modo, pour ne pas voir le film comme un pur et simple “navet” (à distinguer du “nanar” par l’ennui abyssal qu’il suscite), il importe de s’armer de beaucoup, beaucoup, de second degré. Condition sine qua non pour apprécier – à sa juste valeur, qui sait – le jeu d’acteur, les décors…

Comme la plupart des mockbusters, ces copies low cost de grosses prod’ surfant souvent sur la hype d’illustres modèles, Jurassic Shark se veut parodique. Transmorphers (pour Transformers), Ratanouilles (Ratatouille), Metal Man (Iron Man)… Tous ces titres que nul ne songerait à trop prendre au sérieux appartiennent au fertile royaume de “Nanarland”. Et dans cette contrée toute de scénarios bancals, dialogues au rabais et effets spéciaux amateurs, Jurassic Shark pourrait bien briguer l’une des places de favoris. Alors, on dit chapeau ?