Depuis les années 1960, ORLAN (qui insiste pour écrire son nom en lettres capitales, “car elle ne veut rentrer ni dans les rangs, ni dans la ligne”) réalise des œuvres et performances fortes. L’artiste met son corps à l’épreuve afin de questionner les diktats, les interdits, la morale. Depuis cinquante ans, elle prouve que tout est politique. Pour mieux cerner cette artiste qui a tant fait parler d’elle, voici cinq choses importantes à savoir sur son travail.
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Elle s’est fait implanter des cornes sur le front
Dans les années 1990, ORLAN se fait poser des implants sur le visage, sans anesthésie. Elle ne demande pas à les placer sur ses pommettes, où ils sont traditionnellement insérés ; elle préfère les voir trôner sur son front. Depuis trente ans, elle exhibe donc deux cornes symétriques sur son visage.
ORLAN, septième opération chirurgicale-performance à New York, dite “Omniprésence”. Ambiance du bloc opératoire pendant la lecture du texte d’Eugénie Lemoine-Luccioni avec traduction en anglais et en langue des signes, 1993. (© Adagp, Paris, 2022/Ceysson & Bénétière)
Politique et féministe, la plasticienne a modifié son apparence corporelle en réaction aux diktats imposés aux corps des femmes. Elle perçoit les visages comme des masques et affirme avoir voulu se créer un “nouveau masque”, non pas pour paraître “plus belle” mais pour chambouler les codes attendus et dénoncer les violences (physiques et psychologiques) subies par les corps des femmes.
Le Monde rapporte qu’un chirurgien a refusé de l’opérer sous prétexte que lui “mettre des implants pour les joues sur le front” la rendrait “imbaisable”. Une phrase qui l’a évidemment convaincue de poursuivre sa démarche : “La chirurgie esthétique est l’endroit où le pouvoir de l’homme sur le corps de la femme peut s’inscrire avec le plus de force.”
ORLAN à Paris, le 6 septembre 2021. (© Foc Kan/WireImage via Getty Images)
Elle a trouvé son pseudo grâce à une séance chez le psy
À 20 ans, lors de sa troisième séance chez son psychanalyste, ce dernier lui demande, pour la fois suivante, de le payer en espèces. Puis, il se ravise et lui demande de lui signer un chèque. Décontenancée par ce message contradictoire, elle sort de chez son psy et va s’acheter des chaussures pour “histoire d’être bien dans [ses] pompes”.
En signant son chèque dans la boutique, elle prend conscience qu’elle n’écrit jamais son vrai patronyme “Porte”, mais qu’elle modifie une lettre à chaque fois : “Je vois ce que je n’avais jamais vu, je signais en très gros et très clair ‘Morte’ parce qu’une lettre sautait. […] À la séance suivante, j’ai dit : ‘Je ne serai plus jamais morte.’ J’ai voulu prendre ‘or’, qui était le côté positif de ‘morte’, et j’ai choisi ‘ORLAN’. J’aurais dû choisir ‘or rapide’ ou ‘or vif’.”
ORLAN, L’Origine de la guerre, 1989-2011. (© Adagp, Paris, 2022/Ceysson & Bénétière)
Elle a lancé une pétition contre la mort
Sur son site, ORLAN propose aux internautes de signer sa pétition contre la mort : “Assez, c’est assez ! Nous vous engageons à signer cette pétition. Ça dure depuis bien trop longtemps ! Ça doit s’arrêter ! Je ne suis pas d’accord, je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas que mes amis meurent. Il est temps de réagir contre la mort. Essayons tous et toutes ensemble, nous avons une chance […].“
Fascinée par le transhumanisme, l’intelligence artificielle et la robotique, elle a créé son “ORLAN-OÏDE”, un robot créé à son image et avec sa voix, qui pourrait lui survivre. En sus, elle déclare vouloir “se faire momifier et plastifier” et exposer son corps au musée, “au centre d’une grande installation interactive”. Une initiative hypothétique pour le moment : “La plupart des musées n’en veulent pas”, énonce-t-elle.
ORLAN, ORLAN-OÏDE, 2018. (© Adagp, Paris, 2022)
Son corps est politique
ORLAN a pensé ses interventions chirurgicales comme des performances féministes, performances qui étaient diffusées en direct dans différents musées du monde. En plus de ses cornes, ORLAN est entre autres choses “hybridée avec un bœuf”. “Et ça, j’en suis vraiment ravie, c’est là, à la mâchoire”, confiait-elle au micro de France Info.
“Mon corps est un lieu de débat public”, affirme-t-elle. “Moi, ce que j’ai essayé de faire avec les opérations chirurgicales, c’est d’enlever le masque de l’inné. Il y a des gens qui souffrent vraiment de ce que la nature leur a donné et à l’heure actuelle, nous avons la possibilité de jouer avec, de faire autre chose, sans que le Ciel ne nous tombe sur la tête.”
En 1977, l’artiste proposait des baisers à cinq francs. En pleine Fiac, sa performance questionnait “la relation pas toujours saine entre l’art et l’argent”, rapportions-nous. Plus largement, sa réflexion portait sur “la position de l’art et de l’artiste et du corps de la femme, à l’heure actuelle et dans la société”.
Photographe, performeuse et aussi sculptrice, elle explore “le principe du corps-sculpture” pour “montrer que les standards de la beauté sont relatifs et culturels” et afin de se réapproprier les corps et l’art – des notions historiquement possédées par les mains d’hommes.
ORLAN, Le Baiser de l’artiste, 1977. (© Adagp, Paris, 2022/Ceysson & Bénétière)
Son art est politique
À 17 ans, à la suite d’un avortement réalisé chez une “faiseuse d’anges”, ORLAN “accouche d’elle-m’aime”, rapporte-t-elle. Pour l’artiste, l’année 1964 est “celle de [sa] naissance”. “J’ai pu réaliser des œuvres qui dénoncent les violences faites aux femmes et les pressions qu’elles subissent”, écrivait-elle à Paris Match.
“Tout mon travail interroge les pressions sociales, politiques, religieuses, culturelles, idéologiques et esthétiques qui s’inscrivent dans les corps. Aujourd’hui comme hier, je n’ai pas l’intention de les subir !”, poursuit-elle. “Elle s’oppose au déterminisme naturel, social et politique, à toutes formes de domination, la suprématie masculine, la religion, la ségrégation culturelle, le racisme”, précise également son site.
ORLAN, ORLAN accouche d’elle-m’aime, 1964. (© Adagp, Paris, 2022/Ceysson & Bénétière)
La rétrospective “Manifeste ORLAN. Corps et sculptures” est visible aux Abattoirs de Toulouse jusqu’au 28 août 2022.