Hello ! Moi c’est Anna Carolina, rédactrice chez Konbini venant droit de Suisse (et du Brésil aussi, mais ne compliquons pas trop les choses). Bien que je sois déjà venue plusieurs fois à la capitale en tant que touriste, vivre ici depuis quelques mois, c’est tout autre chose. Je suis souvent confrontée à des drôles de coutumes — je vous ai déjà parlé de votre drôle d’obsession pour les cagnottes — ou à des tics de langage comme l’utilisation très (voire trop) fréquente du fameux “bon courage”. Certes, ce n’est pas comme un “tabernacle” qui sort de nulle part (désolée, les Québécois), mais c’est une expression épineuse à double sens qui, au premier abord, pourrait avoir l’air agréable, mais qui dans le fond ne l’est pas tant que ça.
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Une épreuve à surmonter ?
Pour moi, dire “bon courage”, approprié dans un contexte où, objectivement, il y a une épreuve à surmonter. Tout comme : l’enterrement de quelqu’un, un examen important, annoncer sa démission, subir une opération, se lancer dans un trek au Pérou… Bref, littéralement un truc où il faut glisser du “courage” dans son sac à dos.
Par contre, lorsqu’on me dit “bon courage” avant de sortir de chez moi, lorsque je sors du métro, lorsque je m’apprête à prendre mon Vélib ou avant de commencer un cours de sport, je ne peux pas m’empêcher de me demander : “Mais courage de quoi ? Est-ce qu’une chose horrible m’attend ? Est-ce qu’on me joue un tour ?” Ça me fait penser à un Joker qui dirait “Bon courage” avec un sourire en coin à la personne à qui il va s’en prendre. Bon, n’allons pas trop loin (c’est un peu ma spécialité). Pour comprendre mieux à quoi sert cette expression et dans quel contexte on l’utilise, j’ai fait un sondage avec mes collègues (Français) de travail.
Alors, les collègues, ça dit “bon courage” ?
Déjà, 60 % d’entre eux le disent au moins une fois par jour et/ou plusieurs fois par semaine. Donc oui, c’est une expression très utilisée !
Lorsque je leur ai demandé à qui ils disaient “bon courage”, 70 % d’entre eux avouent le dire à tout le monde. Donc en plus d’être fréquent, c’est applicable à tout le monde. Mes hypothèses se confirment. Intéressant…
Lorsque je leur ai demandé dans quel contexte ils le disent, voici leurs réponses :
“Dans tous les contextes qui demandent un effort”
“Aux personnes qui travaillent dans la vente avec des clients exécrables”
“Bah… tout le temps”
“Pour aller travailler… super !”
“Pour la vie en général”
“Je le dis surtout aux commerçants/ caissier / livreurs”
“Quand j’ai un truc à faire chiant ou si je vais au travail”
“Quand il fait froid, quand on dit qu’on va travailler, quand on dit qu’on a une galère…”
Parmi ces réponses, un élément saute aux yeux : LE TRAVAIL. Étant donné que (pour la plupart d’entre nous) le travail fait partie intégrante de nos vies, on pourrait croire qu’un “bon courage” pourrait être placé à n’importe quel moment et contexte de la journée. Mais qu’en est-il des personnes qui aiment leur travail ou de celles qui ne l’aiment pas, mais qui ne veulent pas qu’on le leur rappelle avec un “bon courage” mielleux ?
Eh bien figurez-vous que quasiment 70 % des participants disent ne pas avoir plus de courage quand on leur souhaite “bon courage”.
Quand je leur ai demandé à quel point ça leur fait plaisir sur une échelle allant de “pas du tout” à “beaucoup”, les trois quarts ont répondu que ça ne leur fait rien. Nada. D’ailleurs, la moitié des participants a dit qu’ils le voient comme un “oh mon pauvre, tu n’as vraiment pas de chance”.
Concrètement, voilà ce que la plupart d’entre eux en pensent :
“Ça veut dire que c’est la tannasse ce que je dois faire. Alors que non et surtout c’est un jugement de valeur !”
“Ça m’énerve quand c’est à cause de X que je suis dans une situation qui demande du courage. Et que ce soit justement X qui me souhaite bon courage.”
“Tu vois le principe de folie dû au travail développé par Karl Marx ? J’ai l’impression qu’on me dit ‘Vas-y, passe à la moulinette de la société de travail qui t’épuise en souriant, c’est comme ça, tu peux rien y faire alors baisse la tête et bon courage, hein !'”
“Si c’est une situation qui m’énerve ou m’a rendue triste je trouve que ce n’est pas le moment de dire bon courage, ça rajoute un côté “ma pauvre” à la situation.”
Donc, conclusion : soit les Français sont insensibles au “bon courage”, soit ils ne l’aiment pas. On pourrait donc dire que c’est un tic de langage inutile. Mais alors pourquoi est-ce qu’ils continuent à l’utiliser ?
À la rencontre de Philippe Bloch, le spécialiste du “bon courage”
On a demandé à l’auteur du livre Ne me dites plus jamais bon courage !, son avis sur la question :
Tout a commencé lorsque Philippe a quitté la France pendant deux ans après le collège pour rejoindre New York, la ville du rêve américain. En revenant au pays de la baguette, Philippe n’a pas pu s’empêcher de comparer une journée type des Américains avec celle des Français. Ce qui lui a sauté aux yeux : la non-serviabilité de ses compatriotes et surtout, le pessimisme. Selon lui, cette émotion négative collective est visible à travers une fonction essentielle pour notre survie : le langage. En se penchant sur la question, Philippe a compris que de nombreuses expressions contribuent à faire perdurer une négativité collective et parmi elles : “bon courage”. Voilà le moment où il a eu ce déclic :
“Un matin, j’ai eu trois chocs successifs en 1 h 30. J’étais à la Défense, dans un ascenseur dans une grande entreprise française. Ils étaient 10 et ils se souhaitaient tous ‘bon courage’ à chaque étage. Et là, je me suis dit que je ne la sentais pas du tout et qu’il y avait une ambiance de merde. Je reprends l’ascenseur, ils continuent à se souhaiter bon courage et ce n’était même plus les mêmes ! Je me suis dit ‘Mais on est un pays de dingues’. Après, je prends un avion l’après-midi et le steward souhaite ‘bon courage’ au pilote. Là, on se regardait tous en mode ‘Pourquoi est-ce qu’il nous souhaite bon courage ? Est-ce qu’il y a un pépin ?’. J’arrive à Marseille, je prends un taxi et le chauffeur me souhaite ‘bon courage’ pour me souhaiter bonne journée. C’est là que je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose.”
Selon Philippe, le vocabulaire des Français est négatif, peu aventureux, peureux. On le voit déjà avec des expressions telles que “prendre un risque”. En anglais on dirait “take a chance”, ce qui voudrait dire littéralement “saisir une opportunité” en français. Ça change la donne, en effet. Voilà ce que Philippe Bloch propose lorsqu’on vous dit “bon courage” :
“À chaque fois qu’on me dit ‘bon courage’, je réponds ‘pourquoi vous me dites ça ?’. Eh ben la plupart ne savent pas quoi me répondre. C’est pareil pour le mot “petit” qu’on utilise à tout va : “un petit café, dans un petit restaurant avec une petite signature”. Comment voulez-vous avoir des grands rêves en utilisant toujours le mot “petit” ?
En effet, je dois dire que je suis d’accord avec Philippe, le langage formate notre esprit. La vie est faite de plein de belles choses et si on changeait notre façon de parler, on pourrait tous se tirer vers le haut.
Conclusion : bon ben… “Bon courage” n’est pas une super expression
Je me rends compte que — bien que j’aime taquiner les Français (car qui aime bien châtie bien) — “bon courage” est une expression non seulement souvent inutile, mais aussi négative, lorsqu’elle est utilisée pour toutes les situations de la vie quotidienne. En parlant avec Philippe, j’ai compris que si on remplaçait “Bon courage” par “Passe une excellente journée” ou “Le problème, c’est que…” par “La solution, c’est que…” — comme Philippe le dit dans son livre — on pourrait voir une différence remarquable sur nos émotions. Conclusion : ne dites plus jamais “bon courage” et si quelqu’un vous le dit, n’ayez pas peur de demander : “Mais c’est quoi, le courage, pour toi ?” Sur ce, passez une super journée !