Comment un tableau volé de Signac a permis de remonter à cinq autres larcins

Comment un tableau volé de Signac a permis de remonter à cinq autres larcins

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© Paul Signac/Musée d’Orsay, Paris

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Par Konbini avec AFP

Publié le , modifié le

Un marchand d’art ukrainien est en procès à Nancy pour vol de tableaux.

Un marchand d’art ukrainien a comparu à Nancy pour le vol de plusieurs tableaux de maître commis en France entre 2017 et 2018, des faits que l’intéressé a catégoriquement niés dès l’ouverture de son procès. C’est le vol du Port de La Rochelle, toile de l’impressionniste français Paul Signac, au musée des Beaux-Arts de Nancy en mai 2018, qui a permis de remonter à Vadym Huzhva, 64 ans.

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Retrouvé en avril 2019 en Ukraine, au domicile d’un complice, le tableau a été rendu au musée nancéien en septembre 2021. “Je ne vois pas ce que j’ai à voir avec tout ça, vous n’avez aucune preuve de ce que vous avancez”, s’est emporté Vadym Huzhva à l’ouverture de son procès lundi matin devant la Juridiction interrégionale spécialisée de Nancy, lorsque la présidente Mireille Dupont l’a interrogé. “Vous faites des rapprochements avec n’importe qui”, a-t-il tonné.

Quatre complices, cinq vols

L’enquête a permis d’identifier quatre personnes, toutes de nationalité ukrainienne, soupçonnées d’avoir volé plusieurs tableaux, avec les circonstances aggravantes que ces vols ont été commis en réunion et qu’il s’agit de biens culturels exposés par une personne exerçant une mission d’intérêt général. Si Vadym Huzhva est seul sur le banc des prévenus, ses comparses, frappés par un mandat d’arrêt international, ont été arrêtés en Ukraine où ils sont poursuivis pour d’autres faits.

“Ce vol a été un vrai traumatisme, d’autant plus cruel que le tableau appartient à une collection donnée au musée au milieu du XXe siècle”, a confié Richard Dagorne, directeur des musées de Nancy, à propos du Port de La Rochelle, une toile de 1915 estimée à 1,5 million d’euros.

Outre l’œuvre de Signac, Vadym Huzhva devait répondre de cinq autres vols : un livre ancien et unique, constitué de 12 gouaches de peintres russes, commis à l’Hôtel des ventes de Drouot ; un Renoir dérobé à la salle des ventes de Saint-Germain-en-Laye ; un Giorgio De Chirico au musée Fabrégat de Béziers ; et deux tableaux volés à l’Hôtel des ventes du Château de Versailles, un Eugène Boudin et un Eugène Galien-Laloue.

Découpé au cutter

Le vol ainsi que la récupération du Port de La Rochelle sont rocambolesques. “C’est presque un miracle que ce dossier arrive devant vous”, avait lancé Alain Behr, avocat de la ville de Nancy. “Sans deux affaires extérieures, ses chances d’élucidation auraient été nulles”, avait concédé le procureur. La première, c’est le vol d’un tableau d’Auguste Renoir dans une salle des ventes à Vienne, en décembre 2018. Vadym Huzhva est arrêté par la police autrichienne. Dans son téléphone sont trouvées les coordonnées de deux comparses.

La police française fait le lien avec les vols de tableaux d’Eugène Boudin et d’Eugène Galien-Laloue à la salle des ventes du Château de Versailles et d’un livre de gouaches de peintres russes à Drouot, commis en 2017. Sont également manquants un autre tableau de Renoir dérobé à la salle des ventes de Saint-Germain-en-Laye et un Giorgio De Chirico volé au musée Fabrégat de Béziers.

En avril 2019, lors d’une perquisition au domicile ukrainien de l’un des comparses, visé par une enquête criminelle pour assassinat, est retrouvé, par hasard, le tableau de Paul Signac. Le musée de Nancy récupérera ce tableau de 1915, évalué 1,5 million d’euros, en septembre 2021. Lors du vol, la toile avait été soigneusement découpée au cutter tandis que le cadre avait été laissé sur place par le voleur, considéré comme un vrai professionnel de la découpe. Les autres œuvres n’ont pas été retrouvées.

Sept ans d’emprisonnement requis

Le parquet a requis sept ans d’emprisonnement contre Vadym Huzhva. Le procureur de la République, Vincent Legaut, a en outre réclamé une interdiction définitive du territoire français pour le prévenu, âgé de 64 ans. À l’encontre de ses trois complices, jugés par contumace puisque détenus en Ukraine et dont l’implication est plus floue, le procureur a requis cinq ans d’emprisonnement et la même interdiction de territoire.

Des peines qui tiennent compte du fait que ces vols ont été “préparés par des spécialistes”, qu’ils concernent “des objets de très grande valeur”, avec une “répétition, indice de dangerosité en termes de récidive”, a souligné le procureur, tout en évoquant “un préjudice culturel”.

“Calomnies !”, a lancé plusieurs fois au cours des débats Vadym Huzhva, s’énervant contre la présidente, vociférant contre la juge d’instruction et se disant victime d’un “complot”. C’est d’ailleurs la ligne de défense suivie par son avocate, Samira Boudiba, convaincue qu’il n’est pas le chef dépeint par l’accusation. Elle a plaidé la relaxe pour les cinq vols, estimant qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve.

Celui qui se présente comme antiquaire indépendant entre l’Ukraine et la Russie a réponse à tout, notamment pour expliquer sa présence sur les lieux et aux dates des vols. “Le fait qu’il soit en France à chaque fois qu’a lieu un vol est une coïncidence, pas une preuve !”, a soutenu son avocate.

En face, l’accusation a déroulé les faits imputés aux suspects : un abonnement à la Gazette Drouot ; des repérages quelques semaines avant les vols ; des allers-retours en avion et des réservations d’hôtels en périphérie des villes visées ; des photos d’œuvres d’art retrouvées dans le téléphone de Vadym Huzhva ; et des images de vidéosurveillance révélant un même mode opératoire.

Le verdict du tribunal

La justice a condamné à cinq ans de prison le marchand d’art ukrainien, poursuivi pour une razzia dans des musées et des salles de vente en France. Vadym Huzhva, 64 ans, a été reconnu coupable du vol de cinq tableaux et un livre rare. La peine prononcée est légèrement en deçà des réquisitions réclamées devant la Juridiction interrégionale spécialisée par le procureur de la République, Vincent Legaut : il avait réclamé sept ans de prison et une interdiction définitive du territoire pour le prévenu.

À l’encontre de ses deux complices, jugés malgré leur absence puisque ceux-ci sont détenus en Ukraine pour une autre affaire et dont l’implication est plus floue, le tribunal a prononcé trois ans d’emprisonnement. Un quatrième suspect, une femme, n’a pas été identifié.