Euphoria : des ados et leurs corps, une série qui frappe fort

Euphoria : des ados et leurs corps, une série qui frappe fort

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Ⓒ HBO

Dans la dernière claque made in HBO, les personnages féminins éprouvent des émotions bien distinctes vis-à-vis de leur corps.

À son lancement, Euphoria était vendue à qui voulait l’entendre comme le Skins d’une autre génération. Une génération hyperconnectée, gavée aux réseaux sociaux, blasée par la monotonie et, dans l’ensemble, étouffée par des injonctions de toutes parts. Huit épisodes plus tard, sa saison inaugurale enfin bouclée, la première série ado estampillée HBO prouve qu’elle est à la hauteur de sa réputation. Véritable œuvre coup de poing, elle persiste et signe : oui, il y a encore des choses à dire sur la jeunesse et, dans le cas présent, le rapport que celle-ci peut entretenir avec son enveloppe charnelle.

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Quand on est en pleine puberté, on n’aime pas son corps. C’est comme une condition sine qua non, en fait. On maudit ses poussées d’acné, ses cuisses trop flasques, ses yeux trop écartés, ses lèvres pas assez pulpeuses, ses abdos pas assez dessinés. Trop ou pas assez, il y a rarement d’entre-deux. Au final, ce n’est pas pour rien qu’on utilise à tout-va l’expression “être mal dans sa peau”. Cette sensation de mal-être, de mise à distance de son corps, quand on ne tombe pas dans la haine pure et dure, prend différentes formes dans la première saison d’Euphoria.

Commençons par Rue, la narratrice et anti-héroïne déchirante de la série, incarnée avec une subtilité saisissante par Zendaya. L’ex-égérie de Disney Channel campe ici une junkie de 17 piges qui essaie, tant bien que mal, de soigner son addiction. Lorsque Euphoria démarre, on apprend qu’elle s’en est tirée de justesse après une overdose. À maintes reprises, elle manque de rechuter, s’époumonant devant la baraque de son dealer en le suppliant de lui donner sa dose. Plus tard, dans une phase dépressive, elle retient trop longtemps sa vessie, causant une sévère infection rénale qui la conduit direct à l’hosto.

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Le dénominateur commun dans les actions de Rue ? Elles trahissent une absence totale de considération pour son corps. En d’autres termes, le personnage de Zendaya n’en a que faire de son enveloppe corporelle et la maltraite, que ce soit à travers l’usage de drogues dures ou bien via une infection qu’elle s’inflige. On discerne presque une volonté inconsciente d’avilir son propre corps, qui va de pair avec le mépris qu’elle ressent à l’égard de sa vie dans sa globalité. Le mal-être psychologique de Rue se répercute sur son apparence physique, ce qui paraît cohérent.

Ce n’est peut-être pas pour rien que le courant passe entre elle et Jules, la petite nouvelle du bahut très vite devenue son crush ultime. Le rapport qu’a Jules avec son propre corps est intéressant car contradictoire. En un sens, elle semble à l’aise dans sa peau, n’hésitant pas à se vêtir de tenues légères qui mettent en valeur sa silhouette élancée. Jeune femme trans, elle semble considérer son corps comme un terrain d’expérimentation, que ce soit dans sa sexualité ou dans son look. Son langage corporel ne trahit aucun manque de confiance en elle, aux antipodes de Rue qui a tendance à se recroqueviller ou à s’agiter nerveusement. 

Pour autant, il est évident que Jules, tout comme sa BFF, a du mal à prendre soin de son corps et teste régulièrement ses limites. Un constat qu’on peut effectuer dès le pilote, où la jeune femme se rend dans un motel bas de gamme pour rencontrer un “daddy dominant” – c’est son pseudo sur l’appli – déniché sur Grindr. Dans une ambiance assurément malsaine, Jules s’offre à lui. Et si la sodomie semble consentie dans un premier temps, on entre rapidement dans une zone grise où l’on se rend compte que l’ado subit l’acte sexuel plus qu’elle n’en tire du plaisir. Elle s’abandonne, comme si elle quittait son corps pour amoindrir le traumatisme qui peut autrement résulter de cette pénétration. 

Au rayon des personnages qui ont un rapport conflictuel avec leur enveloppe charnelle, Kat n’est pas en reste. Interprétée par la mannequin grande taille Barbie Ferreira, cette dernière a du mal, dans le pilote, à assumer sa virginité. Sa gestuelle, tout comme celle de Rue, nous fait comprendre qu’elle n’est pas à l’aise avec son corps. Alors pour gagner en assurance, Kat s’improvise cam girl, se montrant peu vêtue, le visage couvert d’un masque très Cinquante nuances de Grey, en train de donner des ordres à des types misérables voulant lui être soumis. En plus d’être un gagne-pain bienvenu (elle est payée pour ses services de dominatrice virtuelle), cette activité extrascolaire peu commune lui permet finalement de s’épanouir.

Au fil de la saison, Kat ose davantage, autant au niveau de son maquillage que de sa garde-robe, plus légère et plus excentrique. Mais à mesure qu’elle gagne en confiance et assume son corps, l’ado tombe dans des travers pernicieux. Elle se met à coucher avec des mecs lambda, a priori sans protection (en tout cas, la série ne précise pas le contraire). Ce ne sont même pas des garçons qui lui plaisent, mais des garçons qui sont “validés” socialement : des mecs reconnus comme mignons et/ou populaires. Par ces rapports sexuels, Kat étanche une soif de reconnaissance que la gent masculine ne lui offre pas, et qu’elle ne sait pas comment obtenir d’une autre manière.

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Dans le même genre, Cassie. Présentée comme la fille facile à la réputation sulfureuse, elle est l’objet de désir d’un grand nombre de ses camarades. À première vue, elle est à l’aise avec sexualité, mais ça ne veut pas forcément dire qu’elle l’est avec son corps. Pour Cassie, son corps est, de façon inconsciente, une arme. Une arme qui lui sert à plaire, à séduire. Mais surtout à obtenir la validation des hommes, à défaut d’avoir celle de son père qui a quitté le nid familial, préférant l’héroïne à l’amour de ses filles. Sa quête éperdue de validation pousse Cassie à ne pas respecter son corps, comme on le voit dans sa scène de sexe avec McKay dans le sixième épisode, où elle accepte de se faire pénétrer plus pour faire plaisir à son boyfriend qu’autre chose.

La seule à n’avoir vraisemblablement pas de souci avec son corps, c’est Maddy. Pour elle, ça semble secondaire. Maddy est ouvertement à l’aise avec son corps et ses formes, qu’elle n’hésite pas à mettre en valeur dans des fringues exubérantes, parfois tendancieuses. Lors du bal de promo, lorsqu’elle se déhanche sur la piste de danse avec un lycéen random afin de faire rager Nate, elle effleure ses courbes et remue son corps de façon lascive. Maddy sait que son corps peut être une arme, là où son amie Cassie n’en a pas pleinement conscience.

Avec une première salve d’épisodes qui frôle l’irréprochable, Euphoria réussit à mettre en lumière comment le mal-être propre à cet âge ingrat se reflète dans le rapport au corps. Chacune à leur manière, les lycéennes entretiennent un lien complexe avec leur apparence physique, entre le mépris et l’indifférence. Et si leurs tourments psychologiques nous paraissent évidents, peut-être que la voie vers un mieux-être résiderait dans l’acceptation et la considération de leur corps. Il n’y a plus qu’à attendre de voir si la saison 2, bientôt en tournage, leur réservera des jours meilleurs.

La première saison d’Euphoria est disponible en intégralité sur OCS en France.