Booba vient de recevoir son premier disque de diamant pour Trône, sorti en 2017. Aujourd’hui, Ninho bat encore tous les records et se voyait aussi récompensé du fameux titre pour ses albums Comme prévu et Destin. Et d’autres élus les ont précédés…
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Décernée par le Syndicat national de l’édition phonographique, cette distinction est la plus haute récompense qu’un artiste puisse recevoir. Depuis sa création, le seuil de ventes nécessaire pour obtenir la récompense a beaucoup fluctué en fonction des changements opérés dans l’industrie musicale. D’abord estimé à un million de ventes, la valeur du disque de diamant chute ensuite à 750 000 en 2006 puis 500 000 en 2009 pour finir par intégrer le streaming dans ses comptabilisations en 2016.
Dans le monde du rap français, peu d’albums ont reçu la fameuse distinction de leur “vivant promotionnel” face au genre de la variété qui domine. En effet, à coups de tubes de l’été façonnés par Kendji Girac, Louane ou Calogero, c’est 5 à 7 disques de diamants qui reviennent à la variété française chaque année. Cependant, le rap n’a pas dit son dernier mot, et commence à rafler de plus en plus de récompenses. Entre premières diffusions radios, crise du disque et arrivée du streaming, on a revu l’histoire croisée du rap et du disque de diamant.
1997-1998 : les premiers disques de diamant et le temps des radios, IAM et Manau
C’est le groupe IAM qui inaugure la liste des albums de rap français à avoir reçu la prestigieuse distinction. En 1997, alors qu’ils sont en activité depuis déjà huit ans, les cinq membres du groupe marseillais signent avec L’École du micro d’argent leur troisième album studio qui, par son succès tant critique que commercial, scellera leur statut de piliers du rap français. Vendu à plus d’un million et demi d’exemplaires dans le monde, L’École du micro d’argent raflera le prix de “l’album de l’année” aux Victoires de la musique de 1998 et sera sacré disque de diamant huit ans plus tard.
À l’époque de la sortie de L’École du micro d’argent, le rap est un genre qui existe en France depuis plus d’une quinzaine d’années mais qui n’a jamais été gratifié de la récompense ultime. Alors qu’il bénéficie rapidement d’un certain attrait qui lui permet de se développer et de voir éclore les carrières des premiers artistes rap français comme NTM ou MC Solaar, tout comme l’intérêt des maisons de disques à l’égard du genre, il connaît très vite aussi ses premières difficultés. En effet, les radios écoutées par les jeunes (Fun radio, NRJ, Skyrock) – qui bénéficient d’une grande influence – sont réticentes à intégrer le rap à leur programmation. Ainsi, dès le début des années 1990, les majors – auparavant enthousiastes – réduisent leurs productions d’œuvres rap et leurs investissements dans le domaine.
Le succès d’IAM et de son École du micro d’argent qui rafle un disque de diamant en 2005 coïncide avec un changement majeur dans l’industrie musicale française. En février 1994, le gouvernement français adopte la loi sur les quotas de chansons françaises diffusées en radio. La loi impose “aux radios privées de diffuser aux heures d’écoute significatives, 40 % de chansons d’expression française, dont la moitié au moins provenant de nouveaux talents ou de nouvelles productions, pour la part de leur programme composée de musique de variété”. Une mesure qui favorise les artistes de rap français qui se verront programmés de façon plus massive sur les ondes. En effet, alors que les radios doivent s’adapter à ce changement, elles doivent aussi gérer la concurrence. Pour se différencier de NRJ et de Fun Radio qui possèdent plus ou moins la même programmation cosmopolite, Skyrock va prendre un tournant rap. Après avoir adopté le slogan “Premier sur le rap” en 1996, la radio va se mettre à diffuser près de 80 % de morceaux rap en 1997 misant notamment sur des émissions animées par les rappeurs comme Dj Kheops d’IAM. Cette visibilité nouvelle permet d’accroître les possibilités d’exposition des rappeurs tout comme leurs ventes.
Le succès du groupe marseillais, combiné à celui d’autres artistes comme Doc Gynéco avec Première consultation ou NTM avec Paris sous les bombes, va permettre au rap français de vivre un âge d’or commercial durant la fin de la décennie. En 1998, les chansons de rap francophones sont deux à trois fois plus nombreuses que les années précédentes et les majors signent de plus en plus d’artistes. L’allégresse entraînant des prises d’initiatives parfois étonnantes, les maisons de disques vont tenter de vendre de nouveaux cocktails à la sauce rap.
C’est le cas de Polydor qui, séduite par le succès du groupe de rap celtique Manau – qui vend plus d’1,5 million d’exemplaires avec son premier single “La Tribu de Dana” en 1998 – va signer le trio. Ainsi, la même année, le groupe sort son premier album Panique Celtique qui se vend à un million d’exemplaires et récolte le prix assez étrange de l'”album rap/groove” de l’année aux Victoires de la musique en 1999. Une récompense qui suscite l’interrogation pour son intitulé qui mélange deux genres bien différents mais surtout pour la décision des professionnels de la musique qui l’attribuent à Manau quand NTM (Suprême NTM), MC Solaar (Mc Solaar), Stomy Bugsy (Quelques balles de plus pour… le calibre qu’il te faut) ou Ärsenik (Quelques gouttes suffisent…) sont en compétition pour le même titre. Dès 1999 – soit un an après la sortie de cet album – on annonce déjà la fin l’âge d’or du rap. Coïncidence ?
Post-mortem : de nombreux albums de rap français sortis durant cette période ou des suivantes comme Suprême NTM du groupe NTM (1998) ou Première Consultation de Doc Gynéco (1996) ont aujourd’hui dépassé les 500 000 ventes nécessaires pour obtenir le disque de diamant. Ils ne sont pas mentionnés car leurs ventes ne correspondaient pas aux seuils d’obtention des époques mentionnées.
2006 : la crise du disque et Diam’s
C’est la décennie catastrophe pour l’industrie musicale qui prend de plein fouet les effets de la dématérialisation des supports musicaux. Le téléchargement légal se développe mais ne compense pas les pertes des ventes d’albums. En une décennie, les ventes annuelles d’albums baissent de 65 %. Face à cette crise sans précédent, les majors rompent en masse les contrats avec les artistes. Une période assez sombre qui verra cependant se développer les carrières de nombre de rappeurs. En effet, jusqu’en 2012, le rap français continue de vendre entre 500 000 et 2 millions d’albums par an, rencontrant de beaux succès comme celui de Booba. Mais malgré quelques bonnes performances commerciales, le SNEP se voit forcé de s’adapter aux mutations de l’industrie et décide, pour s’ajuster aux baisses des ventes physiques, d’abaisser le seuil d’attribution du disque de diamant au chiffre de 750 000 exemplaires vendus au lieu du million précédemment requis.
Ainsi en quatorze années, un seul album de rap s’est vu être certifié disque de diamant. Cet album c’est Dans ma Bulle de Diam’s. Paru en 2006, le troisième album de la rappeuse fait de Diam’s une figure d’exception dans le milieu du rap. Tout d’abord puisqu’elle est une femme qui a du succès dans le rap. Elle sera la seule avec Casey à sortir un projet rap cette année-là. Mais surtout, Diam’s est la seule artiste rap à rafler un disque diamant en quatorze ans. Son troisième album Dans ma bulle qui s’est écoulé à plus de 750 000 exemplaires, avec des singles qui ont marqué toute une génération comme “La boulette” ou “Jeune demoiselle” dont la recherche d’un mec mortel inspire encore les textes de rap.
2012 : le renouveau made in Sexion d’Assaut
Depuis 2006, et malgré le succès de l’album Dans ma bulle, l’industrie musicale a continué de subir la baisse des ventes d’albums. Ainsi, pour revaloriser les chiffres, le SNEP – qui avait déjà réduit à 750 000 ventes l’attribution du disque de diamant – baisse son seuil à 500 000 ventes en 2009. Si cela n’a pas forcément aidé le rap français à obtenir plus de certifications, c’est un phénomène nouveau qui va l’aider à faire face à la crise. Au début des années 2010, une nouvelle génération de rappeurs, qui se forment aux pratiques du freestyle ou des rap contenders, va émerger et se faire connaître massivement grâce aux nouveaux moyens de communication (Facebook et YouTube notamment) qui leur permettent d’échanger avec leurs fans et de partager des vidéos de leurs performances.
Ces diffusions à l’échelle numérique vont permettre au rap français de se décloisonner et d’attirer l’attention des maisons de disques qui recommencent à investir dans le genre en créant à la pelle des sous-labels de musique “urbaine”. Ainsi selon le journal Les Échos, Sony avec son label Jive Epic prend, en 2012, une participation de 30 % dans le label Wati B (du collectif Sexion d’Assaut). Peu de temps avant, en 2011, Def Jam Recording ouvre sa filière française au sein d’Universal et signe notamment, Kaaris, Kalash Criminel ou Lacrim. Enfin, Warner Music France a ouvert les labels InFact et REC 118, qui ont déjà signé quantité d’artistes “urbains”.
Cette attention nouvelle profite à des artistes comme les membres de Sexion d’Assaut, groupe issu de plusieurs formations qui opéraient à Paris au début des années 2000. Enchaînant les freestyles qu’ils postent sur Internet avec leur groupe Le 3e Prototype (ils sortiront d’ailleurs un album nommé Le Renouveau sur leur label Wati B en 2008), ils finissent par signer en 2009 chez Sony. En 2012, ils sortent leur deuxième album L’Apogée, un véritable succès populaire, puisqu’il se vendra à plus de 700 000 exemplaires.
2013-2015 : le rap variété, Maître Gims, Black M et Soprano
“Il ne fait pas du rap, mais en même temps, c’est de là d’où il vient. Encore une fois, le fait de maintenir quelqu’un dans son domaine premier d’apparition fait que cela permet simplement de le catégoriser. Dans l’industrie de la musique, ça lui donne une place. Le rap devient audible à partir du moment où c’est de la variété. Donc en fait, le rap devient audible quand ce n’est plus du rap… “, expliquait l’écrivaine Kaoutar Harchi (en parlant de Maître Gims) à Mouloud Achour dans une interview donnée à Clique en mai dernier. Avec des singles qui peuvent aussi bien animer les centres aérés que les émissions du service public, le rap se fait désormais une place dans la variété française, ce qui semblait pourtant impossible à la fin des années 1990. En effet, en 1998, les rappeurs phares de l’époque – Fabe, Ärsenik, Rohff, la Fonky Family, 113 et MC Jean Gab’1 – s’associent sur une mixtape nommée Nique la musique de France initiée par DJ Cream et Bots (avec Céline Dion, Patrick Bruel ou Florent Pagny en cover) dans laquelle ils critiquent vivement le milieu de la variété française qui les mettait à l’écart.
Il semble donc que le vent ait tourné, puisque beaucoup de rappeurs n’hésitent plus à nommer la variété comme faisant partie de leurs influences ou de leurs ambitions artistiques. Black M a d’ailleurs récemment clamé le fait que le rap était la nouvelle variété française. Ainsi, que ce soit pour s’ouvrir les portes d’un auditoire plus large ou par simple goût, quelques rappeurs ont pris ce tournant qui s’est avéré payant – du moins en termes de vente. Le premier d’entre eux étant Maître Gims, ancien membre de Sexion d’Assaut. Ce dernier sort en 2013 Subliminal, un premier album rempli de tubes sauce variet’ comme “Bella”, qui s’écoulera à plus d’un million d’exemplaires. Encore plus symptomatique de la bipolarité de son rap, il réitéra l’exploit en 2015 avec son album Mon cœur avait raisons qu’il a lui même découpé avec une partie très variété nommée “Pilule bleue” et une partie plus rap nommée “Pilule rouge”, en hommage au film Matrix. Un projet qui veut donc plaire au plus grand nombre et qui se vendra à 600 000 exemplaires.
En l’espace de trois années, ce sera donc quatre disques de diamant qui seront attribués au rap français ou du moins à des artistes issus du rap. Puisqu’en plus des deux récompenses récoltées par Maître Gims, son ancien camarade Black M vendra plus de 540 000 exemplaires de son album Les Yeux plus gros que le monde en 2014 quand Soprano écoulera 700 000 albums du pop Cosmopolitanie la même année.
2017 : l’ère du streaming, PNL et Jul
En juillet 2016, face au succès fulgurant du streaming (540 millions de titres sont écoutés chaque semaine par an en France), le SNEP décide d’intégrer les écoutes streaming dans les calculs d’attribution des certifications pour les albums sortis après le 1er janvier 2016. Pour que les chiffres soient comparables à la vente physique ou digitale, les écoutes sont converties en “équivalent-ventes”. Il s’agit pour cela d’additionner les volumes d’écoutes en streaming de tous les titres d’un album – le titre le plus écouté est divisé par deux – puis de les diviser par 1 000. Cet “équivalent-ventes” est ensuite rajouté aux ventes totales.
La prise en compte de ce phénomène change la donne pour l’industrie musicale et surtout pour le rap qui domine les classements des plateformes de streaming depuis quelques années. En effet, en 2015, le top 5 Deezer était constitué uniquement des rappeurs Jul, PNL, SCH, Drake et Booba. Comptabilisant des millions d’écoutes par morceaux, ils n’ont jamais été aussi nombreux à être certifiés disque d’or, souvent rapidement. C’est le cas du duo PNL dont le troisième album Dans la légende, s’est vu couronné disque d’or en une semaine, disque de platine en quinze jours et disque de diamant en seulement huit mois. Bien que n’étant pas du rap variété, mais du cloud, l’ambition du groupe reste, comme ses prédécesseurs de plaire au plus grand nombre. Ainsi, aux dernières Victoires de la musique, ces derniers s’étaient présentés dans la catégorie “album de chansons” (sans être sélectionnés) et non “album de musique urbaine” aux côtés de Renaud et Benjamin Biolay comme pour affirmer que leur succès dépassait le cadre du rap. Un succès indépendant qui redessine l’industrie musicale prouvant que le genre peut se construire et évoluer sans l’intermédiaire des maisons de disques en misant sur le streaming et la distribution digitale (grâce à de nouveaux acteurs comme Musicast).
C’est la stratégie élaborée (c’est peut-être un bien grand mot) par Jul qui démontre lui aussi que le succès du rap n’est plus relatif aux signatures en maison de disques. Séparé de son ancien label Liga One Industry depuis 2015, Jul évolue en totale indépendance produisant ses morceaux lui-même sur son label D’Or et de Platine. Fort d’une gestion des réseaux sociaux particulière et inégalée (Jul ne passe pas par un community manager mais gère tout lui-même), il arrive à mobiliser une communauté fidèle et dévouée (Lino dit d’ailleurs dans “Rubrique Nécro” qu’il veut “draguer la fanbase à Jul”) et ainsi, multiplier les vues, les écoutes, et les ventes. Ainsi, son album My World sorti en 2015, qui est sûrement le projet qui l’a révélé au grand public grâce au tube “Wesh Alors”, vient d’être certifié disque de diamant avec 500 000 ventes ou “équivalent-ventes”.
Porté par le streaming, le rap français prend donc du poids comme nous le montre la multiplication des certifications chez ses artistes. On peut cependant s’interroger sur la valeur de ces récompenses de plus en plus nombreuses. Si la question se pose moins pour les disques de diamant, durs à atteindre même à 500 000 exemplaires, les attributions de disques d’or à la pelle suscitent des questionnements. Yard explique qu’en vérité les ventes continuent de diminuer, camouflées par la prise en compte du streaming qui ne vaut finalement pas grand-chose. Ainsi, certains artistes, comme Maître Gims ou Booba, réclament une revalorisation des disques d’or.
2017 à aujourd’hui : une pluie de diamant sur le rap français
Depuis l’arrivée du streaming, on peut dire que la donne a changé. En tant que genre musical le plus écouté en France, de nombreux rappeurs se sont vu récompensés par cette certification entre 2017 et aujourd’hui. En outre, depuis mai 2018 le disque de diamant s’obtient au 500 000e exemplaire de l’album vendu (ventes physiques + streaming + téléchargements payants). Une manière plus accessible pour les artistes d’accéder à la récompense.
Si Booba vient de recevoir son tout premier disque de diamant avec Trône et que Ninho, qui avait déjà reçu la récompense pour Destin en 2020, se voit récompensé une seconde fois avec Comme prévu, qui sont les autres artistes ayant accédé à la certification ces dernières années ?
Nekfeu
Entre 2017 et 2020, le rappeur aura battu tous les records avec ses trois albums. Pour Feu (certifié en 2017) et Cyborg (en 2019), il aura fallu quelques années à ces classiques du rap français pour recevoir le disque de diamant. Le plus étonnant restera le couronnement des Étoiles vagabondes qui n’aura pris que neuf mois à obtenir la récompense.
Orelsan
Huit mois seulement pour que La fête est finie obtienne la certification. Avec Civilisation, qui a déjà reçu un disque d’or très peu de temps après la sortie, il se pourrait que ce dernier projet décroche le diamant le plus rapide de l’histoire du rap français.
Damso, Niska, Dadju
Avec Ipséité de Damso, Commando de Niska et Gentleman 2.0 de Dadju, 2018 aura été un bel apogée pour les certifications des rappeurs. Peut-être que d’autres de leurs albums atteindront bientôt le diamant…
PNL, Bigflo et Oli, Lomepal
Après Dans la légende, PNL ont à nouveau été couronnés avec Deux frères en 2020. Ces dernières années auront montré que le rap français est de plus en plus certifié et que chaque année, un classique atteint le disque de diamant. La vraie vie de Bigflo et Oli se voit récompensé en 2020 et Jeannine/Amina de Lomepal l’année suivante.
Et enfin… Booba
Il aura fallu attendre vingt ans de carrière en solo pour que Booba décroche enfin le Graal. Le Duc vient tout juste de décrocher son premier disque de diamant avec son album Trône sorti en 2017.
C’est la première fois que Booba atteint le pallier des 500 000 ventes depuis l’ère du streaming. Une belle performance quand on sait que l’album avait fuité deux semaines avant sa sortie à l’époque. Nul doute que des morceaux comme “Petite fille”, “Ridin'”, “Friday” ou encore “113” avec Damso ont largement contribué au succès de l’album, même des années après sa sortie.
Si certains mettent plusieurs années à recevoir la récompense, le rap français rentre dans une nouvelle ère et prend de la place dans les ventes. On attend encore beaucoup de nos artistes, mais pour le moment, qu’ils profitent de ces récompenses car ils les méritent.
Article initialement publié le 1er juin 2017 et mis à jour le 21 avril 2022.