Pressés par l’urgence climatique, les représentant·e·s des musées français ont planché deux jours au Palais des Beaux Arts de Lille sur un modèle plus respectueux de l’environnement, proposant des expositions moins “spectaculaires”, mais “plus longues” et “intelligentes”… et sans déplacer des millions de personnes.
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“La stratégie nationale bas carbone, c’est zéro émissions nettes de CO2 d’ici 2050. Nous n’avons pas le choix : tout le monde doit bouger”, pose dès l’ouverture des travaux Bruno Maquart, président d’Universcience (Cité des Sciences et Palais de la Découverte, à Paris).
Si la mobilisation des musées est “relativement ancienne” aux États-Unis, elle est encore en France à ses prémices, rappelle l’administrateur de l’établissement lillois, Étienne Bonnet-Candé. Un problème est immédiatement soulevé : une grande majorité des émissions de gaz à effet de serre proviennent “du déplacement des visiteurs”.
Pour des musées drainant une clientèle internationale, comme le Louvre, cette proportion grimpe à 90 %. Une question se pose : comment concilier la mission du musée, la transmission au public, et la réduction de l’empreinte carbone ?
“Désescalade”
Il faut d’abord “totalement repenser” le “modèle de ces trente dernières années” tranche Sylvain Amic, directeur de la Réunion des musées métropolitains-Rouen Normandie. “Jusqu’ici, un musée qui réussissait, c’était un musée à croissance infinie, qui s’enrichissait, s’étendait” et “avait des files d’attente, de gens venus de loin, pour voir des tableaux arrivés à grands frais du bout du monde. Clairement, ce modèle s’éteint”.
“Poussées dans une recherche de ressources propres”, les institutions ont du “attirer toujours plus de monde” pour faire du chiffre, regrette le directeur général délégué de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, Emmanuel Marcovitch, réclamant “une désescalade”.
Parmi les solutions, la fin des expositions spectaculaires et courtes, générant des déplacements inconsidérés d’œuvres par avion, dans des caissons spécialisés, souvent climatisés, et une surproduction d’éléments scénographiques ensuite “jetés à la benne”.
Les musées doivent aussi “ralentir”, en allongeant la durée des expositions, tabler sur un public de proximité et réduire la quantité d’œuvres présentées au profit de la transmission au public d’un “propos scientifique riche”. Soit préférer “la démonstration d’intelligence”, à “la démonstration de puissance”, selon M. Amic.
Éco-conception
Le festival Normandie impressionniste est ainsi passé “d’une dépendance aux prêts étrangers de 50 % en 2010 à 3 % en 2020”, et “d’une exposition centrale à Rouen” à des plus petites “dans neuf villes”, permettant “aux publics de trouver ce qu’ils cherchaient là où ils étaient”.
De même, le musée du Louvre et la RMN-GP ont récemment produit “18 expositions de dix œuvres sur les Arts de l’Islam” partout en France, dans des musées, bibliothèques ou centres culturels, captant “un public différent, qui ne serait pas forcément venu à Paris”.
Il est possible “de mutualiser” les collections et prêts, les moyens de transport, et même de créer des scénographies communes “itinérantes”, en France ou en Europe, plaide aussi Julie Bertrand, directrice des expositions de Paris-Musées.
Même si des “freins” existent, telles que les “normes de conservation”, imposant une “remise en réserve” souvent après 90 jours d’exposition, rappelle la responsable de la production culturelle du Mucem, Sylvia Amar.
Autre axe plébiscité : “l’éco-conception”, soit une scénographie conçue en amont pour minimiser l’empreinte carbone, du choix des matériaux ou produits utilisés – biosourcés, recyclés, labellisés – en passant par l’accrochage, pensé pour pouvoir recycler ou réemployer les éléments.
Reste encore à se doter d’outils techniques pour évaluer le bilan carbone du fonctionnement global des musées, une démarche où le secteur est à la traîne par rapport à d’autres, bâtiment ou industries lourdes. La place du numérique fait, elle, l’objet de débats, car cette technologie génère aussi pollutions et déchets.
“On observe aujourd’hui beaucoup d’initiatives, foisonnantes mais éparpillées”, synthétise la directrice du Conseil international des musées, Juliette Raoul Duval. Il faut désormais “les comparer”, inventer “des outils communs”, et peut-être au niveau national, voire international “des chiffres et des normes”.
Konbini arts avec AFP.