Alors qu’elle venait de proposer à la photographe Gloria Friedman de se reposer dans son lit, Sophie Calle eut une riche idée pour lutter contre son angoisse de voir son lit vide. En 1979, l’artiste fait défiler tour à tour, pendant une semaine, 28 personnes dans son lit, afin que celui-ci ne soit jamais vide.
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“J’ai demandé à des gens de m’accorder quelques heures de leur sommeil. De venir dormir dans mon lit. De s’y laisser photographier, regarder. De répondre à quelques questions. J’ai proposé à chacun un séjour de huit heures”, relate-t-elle.
Sophie Calle, le 4 octobre 2002. L’artiste avait installé une chambre au dernier étage de la Tour Eiffel et invitait le public à la tenir éveillée avec des histoires. (© Bertrand Guay/AFP)
Pendant huit jours, ses draps (que les invité·e·s peuvent choisir de changer ou non) ne refroidissent pas. Parmi les 45 personnes contactées, “des inconnus dont les noms [lui] avaient été suggérés par des connaissances communes, quelques amis, et des habitants du quartier appelés à dormir le jour, tel le boulanger”.
Fascinée par le brouillage des frontières entre le privé et le public, entre l’art et le réel, Sophie Calle se fait la témoin d’un moment d’abandon total, celui du sommeil. Elle en tire des images en noir et blanc et des mots, compilés dans un livre.
Grâce à cette performance, l’artiste soulignait son intérêt pour les notions de trace, d’absence et de mémoire, qui émaillèrent le reste de sa carrière. Dans son livre, Des histoires vraies, publié en 1994, elle racontait l’histoire d’un drap hérité de sa grand-tante avant de mourir.
Elle confiait avoir offert ce drap à son ami l’écrivain Hervé Guibert, “alors gravement malade” du sida. “Je l’invitai ainsi à dormir un peu avec moi. Et puis, j’aimais à croire qu’ayant été brodé par une femme devenue centenaire grâce à une volonté farouche, ce drap, auréolé de foi, lui transmettrait sa force.”
Bien qu’invité·e·s à prendre place séparément, les “dormeur·se·s” de sa performance sont liées à travers celle-ci. Les participant·e·s ne se couchent pas ensemble mais deviennent inextricablement lié·e·s par ce lieu de rêve, de relâchement et de repos, un lieu de tous les possibles et de toutes les évasions, bien que coincé entre quatre murs.