“On a voulu rendre visible ce qui est trop longtemps resté invisible” : à Paris, une exposition offre, pour la première fois, une traversée dans la culture queer du monde arabe, lui aussi bousculé par les questions de genre. Intitulée “Habibi, les révolutions de l’amour”, cette exposition à l’Institut du monde arabe – jusqu’au 19 février 2023 – ne veut pas être un “manifeste militant”. Elle entend “rendre visible une évidence et ce qui est trop longtemps resté invisible” : le bouillonnement culturel du monde arabe sur ces questions, assure son président Jack Lang à l’AFP.
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Au total, 23 artistes issu·e·s du Maghreb, du Machrek, d’Iran, d’Afghanistan et de la diaspora sont exposé·e·s. “L’idée, c’est de présenter au public ce foisonnement autour de ces thématiques et le fait qu’on est sur une jeune génération qui se saisit de ces sujets et qui en fait la source première de ses créations”, explique à l’AFP Élodie Bouffard, commissaire de l’exposition. Un foisonnement qu’on retrouve dans le 7e art avec les films Le Bleu du caftan sur l’homosexualité au Maroc ou Joyland, film pakistanais porté par une actrice transgenre. Tous deux ont été présentés au dernier Festival de Cannes.
La littérature n’est pas en reste, en témoigne le livre La Petite Dernière de l’écrivaine Fatima Daas, sur son refus de choisir entre son homosexualité et sa foi musulmane, qui avait été un événement de la rentrée littéraire, il y a deux ans. Reste que si ces questions traversent le monde arabe, elles demeurent extrêmement taboues et l’homosexualité encore largement réprimée, parfois par la peine de mort comme en Iran ou en Arabie saoudite.
“Partie prenante”
“On a conscience que cette exposition est quelque chose d’assez unique tant sur le plan international que régional”, souligne auprès de l’AFP Khalid Abdel Hadi, co-commissaire de l’exposition. Ce Jordanien a fondé en 2007 le webzine My.Kali dédié à faire entendre les voix de la communauté queer du monde arabe.
L’un des fils conducteurs de l’exposition est de documenter, par l’intime, les récits d’exil et les expériences de la diaspora. Comme la série photographique en noir et blanc du Soudanais Salih Basheer qui restitue le périple d’Essam, ayant quitté le Soudan pour l’Égypte avant de trouver refuge en Suède.
Ou encore les clichés de Fadi Elias qui tire le portrait de Syrien·ne·s réfugié·e·s en Allemagne. Jouant sur le flou, ses portraits soulignent par leur ambiguïté la difficulté d’assumer publiquement son identité sexuelle. Aux récits sur l’exil, s’ajoute la nécessité de documenter une mémoire. Ce travail minutieux est notamment porté par le photographe libanais Mohamad Abdouni qui a recensé, dès les années 1990, les histoires et vies de femmes transgenres.
“Collecter, archiver, c’est aussi dire qu’on est là, qu’on existe et montrer qu’on fait partie prenante de la société”, confie à l’AFP la plasticienne tunisienne Aïcha Snoussi. Dans Sépulture aux noyé·e·s, l’artiste imagine un lieu de sépulture appartenant à une civilisation queer dont les vestiges auraient été engloutis par la Méditerranée.
La question des corps est aussi omniprésente. Elle est en partie portée par l’artiste iranien, exilé en France, Alireza Shojaian. Dans ses tableaux, les hommes sont placés dans des poses lascives et vulnérables, aux antipodes des codes habituels de la virilité. Le tout sur une composition orientaliste reprenant des miniatures persanes.