“Si on attend une validation des hommes, c’est mort” : rencontre avec Liza Monet, papesse des bad bitches du rap français

“Si on attend une validation des hommes, c’est mort” : rencontre avec Liza Monet, papesse des bad bitches du rap français

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Par Pauline Allione

Publié le

Ambassadrice incomprise d’un gangsta rap de meufs dans l’Hexagone, la rappeuse revient cet hiver avec un nouveau projet.

Papillon tatoué bien visible sur sa poitrine soutenue par une lingerie rouge vif, Liza Monet raconte son meilleur coup dans le clip de “My Best Plan”. Sortie en 2012, la vidéo comptabilise plus de 6 millions de vues et vaut à la rappeuse une vague de haine et de slutshaming. Dix ans plus tard, l’artiste continue de rapper des textes crus et d’exposer les ailes déployées de son papillon façon bad bitch américaine. Après deux albums, Liza Monet sortira le 3 février son dernier EP, Mommy Winter. Rencontre avec une artiste revenue des critiques et du cyberharcèlement, qui compte bien faire une place aux meufs dans le gangsta rap français.

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Konbini | On t’a découverte il y a plus de dix ans avec “My Best Plan” puis “Yaourt aux fruits”. Que s’est-il passé ensuite, musicalement ?

Liza Monet | Après l’EP contenant “My Best Plan” et “Yaourt aux fruits”, j’ai sorti plusieurs singles puis je suis partie une année en Italie pour retravailler ma musique. Je traînais avec une équipe qui m’a appris quelques rouages au niveau du flow, des instrus… Je suis revenue en France en totale indépendance, j’ai sorti quelques clips puis mon premier projet de 12 titres, Alexandra [le prénom de la rappeuse dans la vraie vie, ndlr]. J’ai ensuite sorti un album qui s’appelle Mother en 2020, et quelques capsules nommées Monet Back.

Un nouveau projet arrive en février, Mommy Winter. Tu peux m’en dire un peu plus ?

C’est un EP qui sera uniquement chanté, il n’y aura pas de rap. Je compte justement revenir au rap pendant l’année avec de nouveaux projets, j’y travaille encore.

Tu t’inspires beaucoup de rappeuses américaines souvent hyper-sexualisées, à l’instar de Nicki Minaj. Peux-tu me parler de ces femmes ?

Je suis des années 1990, donc Janet Jackson a été ma première inspiration dans l’hypersexualisation de la femme noire. Comme j’aimais beaucoup le hip-hop, je me suis ensuite inspirée de Missy Elliott puis de Lil’ Kim au niveau de la musicalité. Mais quand j’ai vu Nicki Minaj, ça a été la consécration. Je me suis dit : “Ah ouais d’accord, là il y a un truc qui va changer”. Puis j’ai vu toutes ces rappeuses qui suivaient un peu le mindset de Nicki Minaj et j’ai compris que c’était vraiment ça.

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Qu’est-ce qui t’a tant plu chez Nicki Minaj ?

Elle dit tout haut ce que les femmes pensent tout bas, elle assume totalement sa sexualité. Dans le rap, les hommes nous traitent de salopes, de putes, ils nous mettent à poil dans leurs clips… Nicki Minaj le fait aussi, sauf qu’elle reprend le pouvoir sur son propre corps et elle rappe mieux que les hommes. C’est ça que j’ai aimé dans son personnage.

Tu as fait quelques castings de films X par le passé qui t’ont valu beaucoup de critiques lorsque tu as commencé dans la musique, mais le travail du sexe t’aide désormais à voir naître tes projets. Il me semble d’ailleurs que tu as pu financer l’un de tes projets grâce à OnlyFans ?

Les gens ont dit que j’étais une actrice confirmée alors que j’ai fait trois castings de films, ce qui m’a valu d’être la risée des réseaux. Heureusement, on vit désormais à une époque où il est mal vu d’insulter les femmes qui sont dans l’industrie du sexe et c’est vrai que cette industrie m’a beaucoup aidée. C’est OnlyFans qui m’a permis de financer mes projets en totalité, dont Mommy Winter.

Comment ont été reçus “My Best Plan” et “Yaourt aux fruits” à l’époque ?

J’ai reçu beaucoup de critiques parce que les gens n’ont pas compris mon message. J’arrivais avec mon vécu, j’assumais mon corps, j’ai un gros tatouage au milieu de la poitrine, ce n’est pas pour qu’il reste caché… Je voulais que les gens écoutent ce que j’avais à dire. Ceux qui connaissaient déjà le gangsta rap de bitch aux États-Unis ont compris ce que je voulais ramener, mais les avis ont été très mitigés. Certains respectaient le fait que je m’assumais totalement et d’autres disaient que j’étais une pute. Maintenant je m’en fiche, d’autant que le mot “pute” peut être perçu avec fierté. Mais à l’époque, ça a été très difficile.

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Quel effet ont eu ces critiques sur toi ?

J’étais très seule, et au niveau santé mentale, ça a été compliqué. C’était en 2012, mais ce n’est qu’à partir de 2018 que les gens ont commencé à dire que j’avais été victime de putophobie et de slutshaming. C’est vraiment quand il y a eu le mouvement #MeToo et quand toutes les filles ont commencé à ouvrir leur bouche que les gens ont compris. Mais, pendant ce temps, j’avais complètement délaissé les réseaux, je n’étais plus là. J’ai tellement souffert des critiques que je n’arrive pas à ramener ce personnage très vulgaire que j’avais créé à l’époque. Entre la jeune Liza Monet et la Liza Monet actuelle, j’ai grandi. On me compare parfois à Afida Turner et je trouve que ce n’est pas un bon exemple, elle est très belle mais elle n’est pas prise au sérieux. J’ai l’impression que parfois, les gens aiment voir la femme de couleur se ridiculiser.

En quoi la Liza Monet actuelle est-elle différente de la Liza Monet de 2012 ?

Au niveau musical, je vais être crue dans une ou deux phrases mais pas sur tout le son. J’ai modifié ma façon de m’habiller, de m’exprimer sur les réseaux sociaux, je vais être un peu moins trash et moins revendiquer ma sexualité. J’ai un peu lissé mon personnage.

Est-ce que cette autocensure te dérange ?

Pour le moment non, parce que je pense que je serais allée dans beaucoup plus extrême.

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Tu revendiques ce statut de première bad bitch française et il y a dix ans, tu faisais exception dans le rap français. Est-ce que l’on voit plus de bad bitches en France depuis ?

Non, elles n’ont pas encore le truc qui fait que ça fonctionne. Elles vont avoir une image plus travaillée parce qu’elles sont signées en maison de disques, mais il manque un truc au niveau des paroles. Ce n’est pas complètement assumé parce qu’il n’y a pas forcément de vécu derrière, ce sont plutôt des personnages qui ont été travaillés.

Pourquoi les bad bitches ont-elles du mal à émerger de notre côté de l’Atlantique ?

Parce qu’elles ne se soutiennent pas. J’ai eu énormément d’insultes et de menaces de mort de la part d’équipes et de rappeuses qui sont dans l’industrie aujourd’hui. On a beau parler des hommes, les premières à se critiquer sont malheureusement les femmes. C’est un peu de la misogynie mal placée de la part des femmes elles-mêmes, notamment à cause de leur équipe de mecs qui leur disent : “Ne traîne pas avec elle” ; “C’est une pute, regarde ce qu’elle fait”… Alors que derrière, elles vont pratiquement reprendre le même personnage que moi, ce n’est pas cohérent.

Le rap français est-il prêt pour les artistes femmes hyper-sexualisées et assumées ?

Je pense que toutes les personnes discriminées, les personnes LGBT et les féministes peuvent s’identifier au rap de bad bitch en France. Mais si on attend une validation des hommes, c’est mort.