Créé il y a un peu moins de trois ans, le compte Instagram Match with Art compte désormais près de 300 publications sous forme d’odes à la mode et à l’art. Un chiffre d’autant plus impressionnant quand on connaît le travail auquel se livre sa jeune créatrice qui écume les expositions, sélectionne ses œuvres fétiches et déniche des tenues correspondantes avant de prendre des photos et de rédiger des légendes informatives. Nous avons pu poser quelques questions à celle qui se transforme en “caméléon” pour se “fondre dans les œuvres” afin de partager son amour de l’art et de la mode.
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Konbini arts | Bonjour, peux-tu nous raconter comment est né ton compte Match with Art ?
Match with Art | L’idée de Match with Art a germé lors d’une visite en galerie dans le cadre de mon travail, j’étais habillée dans les mêmes couleurs que la toile et les gens se sont amusés de cette coïncidence, ce qui les a poussés à s’arrêter davantage sur l’œuvre. J’avais lu un article qui déclarait que les gens ont tendance à plus s’arrêter sur une image d’art si quelqu’un est présent devant l’œuvre. La présence d’un public démystifie l’aura que peut avoir l’art, le côté trop fermé qu’ont les lieux culturels. Un individu suffit à personnifier une œuvre d’art et à la rendre accessible. Seulement, ce principe de prendre des photographies du public devant les œuvres d’art était déjà devenu trop courant et utilisé par les institutions.
Devant une œuvre de Sonia Delaunay au Centre Pompidou. (© Match with art)
Comment réalises-tu chacune de tes images ?
Je choisis les œuvres que je désire faire d’après les ouvertures d’expositions. Je fais un tri parmi ce qui est faisable. Je me rends ensuite sur place pour repérer l’œuvre que je pense faire, m’assurer de son accessibilité, vérifier que rien ne gêne le champ de la photographie et m’assurer des couleurs en réel. Je cherche ensuite les vêtements les plus adéquats à l’œuvre, que ce soit dans les couleurs ou le motif.
Chaque image demande plusieurs étapes : le choix de l’exposition ; le choix de l’œuvre dans l’exposition – j’essaie généralement de cibler plusieurs œuvres pour que trouver une tenue soit le plus facile possible ; la recherche du vêtement, soit en magasin, soit en ligne, c’est généralement la partie qui me prend le plus de temps.
Pour finir, je réalise la photographie, de préférence à des heures creuses, de manière à ne risquer de déranger personne : j’utilise un appareil photo dédié aux lieux clos sans entrée de lumière, de manière à avoir le rendu le plus exact de l’œuvre. Je vais avoir une trentaine de clichés pour une œuvre, donc je choisis la meilleure en demandant toujours l’avis de proches.
Devant une œuvre de Bernard Frize au centre Pompidou. (© Match with Art)
Je traite ensuite l’image : recadrage, luminosité, suppression des cartels et panneaux gênants pour l’esthétisme de la photographie. Enfin, je réalise la légende. Le court texte que j’écris me prend beaucoup de temps. Je consulte souvent une vingtaine d’articles, d’interviews afin de recueillir des informations pertinentes et importantes. Je vais tout regrouper et revérifier afin d’être sûre de ce que je vais écrire.
Je vais simplifier le vocabulaire utilisé afin que tout le monde puisse le comprendre et pas seulement les historiens de l’art. Je mets des anecdotes, des informations qu’on ne va pas lire partout. Je pense que c’est ce qui intéresse le plus les gens, des histoires amusantes, des particularités sur la vie ou le travail de l’artiste. J’évite de prendre parti dans mes légendes. Je dis ce que je ressens, ce que cela me rappelle, mais c’est assez rare. Je ne veux pas prendre le risque d’imposer ma façon de penser, ni de l’influencer. Chacun peut ressentir ce qu’il veut devant une œuvre, et je ne veux pas entraver cela.
Devant une œuvre de Zao Wou-Ki, à l’Hôtel de Caumont. (© Match with Art)
Tu visites donc chacune des expositions avant de revenir prendre tes images ?
Au début du compte, je me fiais aux images vues sur Instagram, sur le site de l’exposition ou dans les magazines. Mais après quelques déconvenues (des œuvres finalement non visibles, vendues, ou qui ont été déplacées), j’ai décidé de faire une première visite pour m’assurer que le match était possible.
Je me rends désormais quand je le peux, dans le lieu une première fois. Je suis également de plus en plus exigeante envers les associations que je crée, aussi j’ai envie de voir de mes propres yeux les camaïeux de couleurs et d’être sûre de trouver la bonne tenue. Je ne veux plus faire de l’à-peu-près.
À quelle fréquence crées-tu tes images ?
Lorsque je fais une session de match, souvent le samedi, j’essaie d’en faire cinq ou six d’un coup. Comme je poste à une fréquence de trois photographies par semaine, je tente de prendre de l’avance afin d’avoir du temps libre pour aussi faire les expositions sans avoir besoin de me changer trois fois dans la voiture, au détour d’une rue, ou de courir dans cinq lieux culturels différents. Mais au moins, ce compte me motive à tout le temps être dans les lieux culturels et à me tenir informée de tout ce qu’il se passe. Je suis un agenda culturel à moi toute seule.
Devant une œuvre de Damien Hirst à la Fondation Cartier. (© Match with Art)
Pourquoi avoir créé ce compte ? Que souhaites-tu transmettre grâce à celui-ci ?
Ce compte a une double vocation : capter l’attention de personnes déjà intéressées par le milieu de l’art, et attirer un nouveau public plus sensible à la mode. Si certains vont d’abord s’arrêter sur l’œuvre d’art et ensuite regarder la tenue, d’autres vont faire la recherche inverse. Ils vont être attirés par l’idée de correspondre à une œuvre, et ensuite regarder l’œuvre qui l’a inspirée.
Ce moyen de “call to action” a pour objectif final de pousser les gens à se rendre dans les lieux culturels afin de voir l’œuvre avec laquelle j’ai accordé ma tenue. Je souhaite leur montrer qu’on peut y voir de belles choses et s’amuser. Je voudrais montrer que tous les lieux d’art en valent la peine, qu’il est possible de voir de l’art sans avoir besoin de réserver un créneau horaire comme dans les maisons de vente et les musées, des lieux où les gens ont plus de mal à entrer. Mon mantra serait : “Poussez les portes, l’art vous attend !”
Pour moi, il ne faut pas oublier que l’art ne s’est pas arrêté à Monet, Warhol, Pollock. Ces artistes n’auraient pas eu cette renommée si personne ne les avait achetés ou soutenus, et ici je ne parle pas des galeries ou de collectionneurs avertis, tout le monde a son rôle dans la visibilité des artistes. Ces derniers atteignent la renommée grâce aux gens qui achètent leurs œuvres mais aussi grâce aux gens qui parlent d’eux. Le public fait l’art de demain, nous déciderons de ce qui marquera l’art du XXIe siècle.
Devant une œuvre de Jan Kaláb à la galerie Danysz. (© Match with art)
Devant une œuvre de César à la galerie Almine Rech. (© Match with Art)
Devant une œuvre de Christo et Jeanne-Claude au centre Pompidou. (© Match with Art)
Devant une œuvre de Günther Uecker à la galerie Levy Gorvy. (© Match with Art)
Devant une œuvre de Hans Hartung à la galerie Perrotin. (© Match with Art)
Devant une œuvre de Kiki Kogelnik au musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Nice. (© Match with Art)
Devant une œuvre de Marcia Hafif au centre Pompidou. (© Match with Art)
Devant une œuvre de Véra Pagava au centre Pompidou. (© Match with Art)
Vous pouvez retrouver les photos de Match with Art sur Instagram.