J’ai détesté mes années de collège, particulièrement la cinquième. J’étais dans un collège privé. Dans ma classe, il y avait un groupe de quatre garçons qui ne respectaient pas particulièrement la gent féminine. Ils discutaient souvent des filles de la classe en les jugeant sur leur physique : si elles avaient des formes dites généreuses ou non, si elles étaient “bonnes” ou “des planches à pain”… Ils attribuaient même des notes sur leur beauté. Je me souviens que j’avais eu droit à la note de 15. WOW, quel honneur !
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Certains se permettaient aussi de donner leur avis sur la tenue des filles. Un jour, j’étais en sport et j’avais mis un short. Un des mecs m’a dit : “Non, tu n’as pas le droit de porter ça”, car c’était soi-disant vulgaire. Il était habillé de la même façon que moi.
Des mains aux fesses, toute la journée
Au début, je n’étais pas leur cible préférée. Je ne recevais pas d’insultes, mais on me faisait des remarques déplacées.
Dans les vestiaires de sport, les discussions sur ce genre de sujets continuaient. Un copain m’avait expliqué qu’un mec avait dit à son pote : “Askip tu as mis une main à Alice”, alors que c’était faux. L’autre avait répondu que non, il n’avait pas fait cela. Mais, par la suite, celui qui avait posé la question a dit : “Moi, je lui en aurais bien mis une.”
Et tout cela s’est aggravé au fur et à mesure. Un vendredi après-midi, ce groupe a décidé de passer la journée à me mettre des mains aux fesses. C’était un enfer ! Je ne comprenais pas cette soudaine envie de vouloir faire cela sur moi.
Les premières fois, je n’ai pas spécialement réagi. En fait, je ne comprenais pas la gravité de la situation. Je n’étais qu’une enfant et je me suis tout simplement dit que cela allait passer, que ce n’était qu’une journée. Mais, le lundi, c’était encore pire : à peine je marchais, on me touchait. Cela a commencé à m’énerver.
Pas le droit de dénoncer ces violences sexuelles
Une fille de ma classe est venue me voir. Elle était dans la même situation que moi et m’a donc proposé de l’accompagner à l’infirmerie. On a raconté ce qu’il se passait et on a dénoncé les garçons. La CPE a été mise au courant. Mais, finalement, tout ceci n’a servi à rien, c’était même encore pire. En plus de recevoir des remarques déplacées, ils nous insultaient de “putes” et de “salopes”.
Durant les cours, j’étais à côté d’un garçon qui n’arrêtait pas de m’insulter. J’ai réagi et je l’ai engueulé. L’enseignante a tout entendu et m’a dit de me taire. On me privait de m’exprimer.
Une autre fois, j’étais hyper mal, j’avais beaucoup pleuré. Je ne me souviens pas exactement pourquoi j’étais dans cet état. Je suis allée aux toilettes pour me calmer. Quand je suis retournée en cours, à la place de recevoir de l’aide ou du soutien, j’ai eu le droit à une phrase de ma prof : “Oh la la, vous êtes toujours mal, dans cette classe.” Ce qui montre le manque d’empathie envers les élèves et le peu d’effort pour comprendre la situation.
Deux heures de colle et une leçon de morale
Au final, les garçons ont juste reçu deux heures de retenue et une petite leçon de morale qui est rentrée par une oreille et sortie par l’autre. Pas de convocation des parents, rien de plus. Encore pire, on nous a engueulées, nous, les filles, car, depuis un moment, certaines de ma classe faisaient souvent des crises d’angoisse. Notre professeure principale nous a dit : “Arrêtez de faire des crises d’angoisse…” Et c’était tout, aucune remarque pour les mecs.
Les agressions envers moi se sont arrêtées, mais pas les remarques ni les insultes. Pour certaines filles, cela continuait, et pour d’autres, ça s’est arrêté. On n’a reçu aucun soutien dans la classe alors que tout le monde savait. Il y avait une certaine concurrence entre les filles, la plupart d’entre elles voulaient être acceptées par les garçons. Une des filles a dit : “Non mais les garçons n’ont rien fait, les filles sont chiantes à angoisser.” C’était une fille très fine, qui était souvent traitée de planche à pain. Certains garçons la frappaient et l’insultaient. Mais, malheureusement, ce n’était pas pour autant qu’elle nous soutenait.
En bref, qu’on soit mince, ronde, grande, petite, étant donné que nous étions des filles, ils se croyaient tout permis.
Un dégoût profond pour le collège
L’année a continué et pas grand-chose n’a changé. Début juillet, j’en ai parlé à mon père. Il est allé voir la directrice et lui a parlé de tout ce qui m’était arrivé pendant l’année. Apparemment, ce même genre d’histoires s’était produit dans d’autres classes. Mais c’était trop tard, l’année était finie.
Pendant cette année, mes résultats scolaires avaient été médiocres. J’ai eu un dégoût profond pour l’école. Je ne voulais plus y retourner. J’étais devenue assez déprimée et je ne faisais plus aucun effort pour réussir dans quoi que ce soit.
Je suis restée dans le même collège pour les deux dernières années et j’ai reçu beaucoup moins de critiques. Mais l’administration ne réagissait presque jamais aux différents problèmes sexistes qui avaient lieu. On pouvait même recevoir des critiques des enseignants sur nos tenues. En quatrième, avec des filles de la classe, on a demandé pourquoi les garçons pouvaient s’habiller comme ils voulaient, du moins, pourquoi on leur faisait moins de remarques qu’à nous.
Mon prof avait répondu : “Il faut faire attention à ce que vous portez, pour que les garçons ne soient pas déconcentrés et qu’ils se concentrent sur les cours et pas sur autre chose.” Ce que je trouve particulièrement ridicule. On prive continuellement les femmes de s’habiller comme elles le souhaitent dans les établissements scolaires alors que les hommes peuvent faire comme ils veulent.
C’est épuisant d’être moi-même, d’être une femme
Il y a un contrôle permanent sur le corps de la femme, une inégalité clairement présente et, à côté de cela, on fait des cours sur les droits des femmes et l’égalité entre les sexes. Tout ceci peut entraîner des conséquences graves, comme se faire harceler, agresser, rabaisser parce qu’on est une fille. C’est vraiment lourd de subir tout cela. C’est devenu limite une routine de vivre de cette façon. C’est épuisant d’être moi-même, d’être une femme. Qu’on me dise continuellement avec des phrases sexistes que, soi-disant, les femmes sont inférieures.
Après tout ce qu’il s’était passé dans ce collège, je ne m’habillais plus vraiment comme je le voulais et je faisais comme les autres, tel un petit mouton de la société. Mais une fois arrivée au lycée, ç’a été la libération, j’ai pu devenir qui j’étais réellement. Que cela soit au niveau de mon physique, mon style vestimentaire, ma mentalité, des endroits et des personnes que je fréquente. Je suis dans un lycée public, plus ouvert d’esprit. Je m’y sens à ma place et à l’aise, je n’entends plus et je ne reçois plus de mépris, que cela soit du côté des élèves ou des enseignants. Beaucoup de choses ont changé depuis que je suis au lycée, et j’en suis heureuse.
Alice, 17 ans, lycéenne, Saint-Étienne
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.